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COURRIER ITALIEN.

En 1836, le roi Charles-Albert institua une royale députation d'histoire de la patrie, et par patrie il fallait entendre alors le Piémont avec la Ligurie. C'était une espèce d'académie, où figuraient la plupart des hommes de lettres du pays. On sait que, dans le siècle précédent, s'était formée, à Milan, une Société Palatine créée par quelques seigneurs lombards, qui encouragea et fit publier à ses frais les travaux des savants. C'est ainsi que parurent les Rerum italicarum scriptores, et les Antiquitates medii ævi de Muratori, recueils précieux, indispensables pour quiconque étudie l'histoire du moyen âge, et non pas seulement celle de l'Italie. C'est sur ce modèle que se forma la députation piémontaise, non par le concours de particuliers, mais par l'initiative et aux dépens du gouvernement. La députation a publié onze volumes in-folio de Monumenta historiæ patriæ, distribués en chartæ, leges, scriptores. Ce recueil a été jugé par M. Libri, dans la Revue des Deux-Mondes, avec l'aigreur qu'il montrait à l'égard de tout ce qui venait de l'Italie. Pourtant, tous ceux qui cultivent les études historiques reconnaîtront que cette collection sert non-seulement à la connaissance des faits, mais aussi des lois, des coutumes, de la civilisation du moyen âge. Le Liber jurium de Gênes est un code des plus précieux; les différents statuts des pays qui, par des agglomérations successives, ont formé le royaume de Sardaigne, montrent une fois de plus que « la liberté est ancienne et le despotisme moderne.

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Il faudrait un article spécial pour donner une idée complète d'un tel ouvrage. Je dirai seulement que l'activité de cette société s'est ressentie, elle aussi, des bouleversements politiques, et je crois que depuis 1859, elle n'a rien publié. Quand la Lombardie a été annexée au Piémont, on a étendu le nom de patrie à cette région. Actuellement des Lombards s'occupent de préparer l'édition de toutes les chartes de leur pays, antérieures à l'an mille. Quelquesunes sont inédites, d'autres ont été imprimées incorrectement par Muratori, par Lupi, par Giulini, par Rovelli, par Tatti; revues et réunies, elles formeront un ensemble de la plus grande importance. Mais nous croyons qu'il faudra encore bien du temps avant que ce volume ne voie le jour.

- Cette députation, qui, présentement, a pour président l'un

des hommes les plus notables du Piémont, le comte Sclopis, a commencé, en 1862, la publication d'un autre recueil, sous le titre de Miscellanea di Storia italiana. L'idée n'en était point nouvelle. En 1600, Comin Ventura publiait le Tesoro politico; puis Gaudence Roberti, la Miscellanea italica erudita, continée jusqu'en 1750 par Mandelli. Il y a en outre les Deliciæ eruditorum de Lami, les Opuscula Taria symbolæ litterariæ de Gori, le Delizie degli eruditi toscani du père Inghirami, les Opuscoli d'autori siciliani de Palerme, la Miscellanea di Storia litteraria de Lucques, le Saggiatore de Rome, et de nos jours, l'Archivio storico, publié à Florence par Vieusseux. Ces recueils sont de la plus grande importance pour l'histoire; mais aux matières historiques se trouvent mêlés des articles littéraires, scientifiques et artistiques.

On voulait faire du nouveau recueil une collection exclusivement historique. En conséquence, on invita tous les Italiens s'occupant d'histoire à y participer; une commission devait choisir parmi les matériaux. Un tel programme était difficile à remplir, et quand même les affaires publiques n'en auraient pas entravé la réalisation, la dépense cut dépassé les bornes que notre situation financière impose pour tout ce qui n'est pas de première nécessité. C'est M. Promis, bibliothécaire du Roi, qui, presque seul, a été chargé de la rédaction et de la publication de ces Miscellanea, qui jusqu'à présent offrent assurément de quoi satisfaire les savants et les curieux. Ce qu'on y a donné de plus remarquable est la correspondance de Gérôme Moroni, chancelier des derniers ducs de Milan de la maison de Sforza, et mêlé à toutes les affaires de cette époque où l'Italie perdit son indépendance. Tantôt dévoué aux Sforza, tantôt soumis à leurs vainqueurs, quelquefois prenant parti pour Charles-Quint, d'autres fois pour François Ier, il conspirait aujour d'hui avec le marquis de Pescara pour libérer l'Italie, et combattait demain sous le prince d'Orange pour abattre Florence, dernier rempart de la liberté guelfe. M. Müller a fait précéder cette correspondance d'une vie de Moroni, consciencieusement faite, mais qui ne précise pas assez le caractère de l'homme et de l'époque 1.

Les autres volume des Miscellanea, au nombre de quatre, contiennent les vies de Gérôme d'Anghieri et du fameux François Paciotto, ingénieurs militaires. Ces biographies se rattachent aux recherches que M. Charles Promis fait depuis longtemps sur l'art militaire en Italie. Il y a joint un commentaire sur les ingénieurs et les écrivains militaires de Bologne aux XIVe et xve siècles. En tête de ces écrivains figure Christine de Pisan, bien connue en France par son Livre des faits d'armes et de chevalerie, le meilleur ouvrage du commencement du xve siècle, c'est-à-dire de l'époque où les armes offensives se renouvelèrent.

1 M. Cantù a publié, dans les Mémoires de l'Institut lombard, la vie du cardinal Jean Moroni, fils de ce chancelier, qui joua un des premiers rôles au Concile de Trente, et qui fut poursuivi par l'Inquisition sous le rigoureux Paul IV (Milan, Bernardoni, 1867).

Avant de quitter ce recueil, je signalerai ici une supercherie littéraire, du genre de celle dont j'ai parlé dans la dernière livraison de cette Revue. L'archidiacre Dragoni, de Crémone, a publié des chartes de la plus grande valeur, tirées des archives du chapitre de Crémone, et se rapportant en partie à l'époque lombarde, sur laquelle si peu de documents nous sont restés. Les érudits les plus sérieux ont accepté ces documents de confiance, et M. Charles Troya, l'un des écrivains qui ont le mieux mérité de l'histoire italienne, et qui a publié le code diplomatique des Lombards (1853), n'a pas hésité à y placer les chartes découvertes par M. Dragoni, et dont M. Odorici lui garantissait l'authenticité. Ces documents changeaient de fond en comble les idées que nous avions, soit sur l'âge des Lombards, soit sur l'origine de nos communes et sur la persistance du droit romain municipal à travers la domination barbare et la féodalité. Le premier, peut-être, j'ai osé émettre des doutes relativement à ces pièces. On cria au sacrilege; on m'accusa de scepticisme, d'obstination, peut-être d'envie. Je laissai faire, ne croyant pas que des injures fussent des raisons; mais je priai M. Dragoni de me permettre d'examiner les originaux. Il me répondit que, tant qu'il vivrait, il ne les montrerait à personne. M. Dragoni vint à mourir en 1860. Un des hommes les plus studieux de l'Italie, le docteur Robolotti, connu par ses recherches sur l'histoire de Crémone, acheta les papiers du défunt, dans le dessein de les donner à sa patrie. Je l'engageai à se livrer à un examen sérieux de ces chartes, pour en vérifier l'authenticité. Aussi consciencieux que savant, M. Robolotti reconnut qu'on avait mystifié le public. C'est dans un mémoire de ces Miscellanea qu'il nous en fournit la preuve. Les chartes ont été fabriquées sur des chartes authentiques, avec des suppressions, des variantes, des changements introduits pour servir à la thèse du falsificateur. Nous n'en citerons qu'un exemple : Le poëte Manzoni, dans sa tragédie d'Adelchi, introduit un Martin diacre qui traverse seul les Alpes pour aller indiquer à Charlemagne un passage inconnu et non défendu, par lequel il pourra pénétrer en Italie et tourner l'armée lombarde, qui l'attend à Suze. Qui était ce Martin? M. Dragoni nous l'apprend, au moyen d'une donation faite par Charlemagne au chapitre de Crémone, en reconnaissance du grand service que lui avait rendu Martin diacre. Nous avions tous accepté le fait de confiance. Aujourd'hui on a retrouvé l'original, de la main de M. Dragoni, fait et refait par lui, et portant de nombreuses corrections.

Pour en finir avec les publications officielles, j'ajouterai que, lors de la conquête ou des annexions, les différents dictateurs envoyés dans les pays annexés, ont imité l'exemple de CharlesAlbert, et ont institué des députations historiques. Cela a eu lieu à Bologne, à Modène, à Parme, à Naples. Depuis, on en a créé une aussi à Florence; toutes reçurent des assignations sur le budget ministère de l'Instruction publique. Je n'ai eu sous les yeux que les volumes publiés par la députation des provinces de Modène et de Parme; ils m'ont paru mériter l'attention des savants. Mgr Cave

doni, érudit très-distingué, le marquis Campori, le chevalier Ronchini, MM. Cappelli, Odorici, etc., ont su tirer le plus grand parti. soit des antiquités découvertes dans ces pays, soit des archives qui, à présent, sont ouvertes au public. On a pu élucider plusieurs points de l'histoire de l'art et des artistes, mettre en relief la vie d'hommes et de femmes illustres, éclaircir plus d'un événement historique. On a publié un grand nombre de lettres inédites de Vasari, de Sangallo, de l'Arioste, du Titien, du Trissin, de Faloppe, de l'Aretin, etc.

Il est à souhaiter que les autres députations déploient la même activité et la même intelligence. Ce sera une compensation à l'une des mesures les moins avouables qui doivent être mises au compte de notre révolution. Dans les divers pays, à mesure qu'ils étaient envahis, on créait une commission, ou plutôt on donnait l'autorisation de fouiller non-seulement dans les bureaux, mais dans les cabinets privés, dans les écritoires des princes dépossédés. On en a tiré tout ce qui pouvait faire tort à leur mémoire, et on l'a publié. Des billets tout confidentiels de membres de la famille régnante de Toscane, ont paru dans le recueil fait par M. Gennerelli, le même qui a édité les chartes des légations de Romagne. Nous avons eu aussi les Documents relatifs au gouvernement des AustroEstenses, à Modène, publiés PAR ORDRE du dictateur des provinces modenaises (Modène, 1860). Le jeune duc s'amusait parfois à faire des griffonnages sur le papier, à écrire une réponse en zigzag ou en spirale; des fac-simile ont révélé ces badinages aux peuples effrayés! La publication des documents relatifs aux Bourbons de Naples a été confiée à MM. Alexandre Dumas et Cie, qui en ont déjà donné plusieurs volumes. Il n'est pas nécessaire de dire dans quel esprit et avec quel artifice sont faites ces publications; on pourrait facilement y opposer d'autres pièces qui réfuteraient celles qu'on a données, et nous montreraient autant de mérites qu'on a prétendu trouver d'actions blâmables.

C'est au même but que tend l'Histoire documentée de la diplomatie européenne en Italie, depuis 1814 jusqu'en 1861, par M. Nicomède Bianchi. C'est un ouvrage de longue haleine, fait pour la plus grande partie sur la correspondance diplomatique des archives de Turin. Quatre volumes ont déjà paru, et l'importance de cet ouvrage ne permet pas d'en parler en courant. Nous nous réservons d'en faire l'objet d'une étude étendue et d'une sérieuse appréciation. Je signalerai ici une brochure de M. Vincent de Wit, philologue distingué, qui travaille à une nouvelle édition du Lexicon latinum de Forcellini, et vient de publier un mémoire pour établir la Différence entre les Bretons de l'ile et les Bretons du continent 2. Depuis le temps de Cellarius, on a recherché si les noms de Brito, Britto, Britannus, Britannicus, Britannicanus, indiquaient les habitants de

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1 Storia documentata della diplomazia Europea. Turin 1867; t. I et II. 2 Tiré du tome X, 2a série des Opuscoli religiosi letterari e morali; Modène, 1867.

l'Angleterre, ou si les deux premiers noms s'appliquaient à un peuple différent, établi dans la moderne Bretagne. M. d'Arneth a publié à Vienne, en 1843, un document militaire de l'an 838 de Rome (85 de J.-C.), dans lequel on voit combattre dans la Pannonie COHORS I BRITANNICA MILLIARIA et CоHORS I BRITTONUM MILLIARIA. C'étaient donc deux peuples différents. L'illustre antiquaire Borghesi n'osa pas déterminer le lieu où était établi ce grand peuple. M. de Wit a tâché de le faire. Ses conclusions sont que Brittia était le nom ancien de la péninsule du Jutland, et que ses habitants s'appelaient Brittons. Ils émigraient de temps en temps vers le sud, tantôt seuls, tantôt avec des peuples voisins. Poussés par les émigrations qui survenaient, ils passèrent sur les côtes de la Gallia belgica, et de là dans l'ile, à laquelle ils ont donné leur nom. D'autres, parsemés dans la Germania, se sont étendus le long du Rhin; puis, dans le premier siècle de l'ère vulgaire, se sont établis dans la Belgique. Les Romains les ayant subjugués, les obligèrent à servir dans leurs armées. Au commencement du ve siècle, lorsque l'empire romain tombait en dissolution, ils recouvrèrent leur liberté, et à la fin conquirent l'Armorique, où ils s'établirent en lui donnant leur nom. Cette thèse, soutenue avec érudition, mérite d'être étudiée par les habitants de la Bretagne, si jaloux de tout ce qui regarde l'histoire de leur pays. - Le professeur Joseph de Leva, de Padoue, publie par livraisons une histoire documentée de Charles-Quint, dans ses rapports avec l'Italie'. Ce mot documentata signifie seulement qu'elle est appuyée sur des documents rares ou inédits, auxquels on renvoie dans une grande quantité de notes, mais qui ne sont pas donnés in extenso, comme le titre semblerait l'indiquer. C'est une tentative analogue que vient de faire M. Théodore Juste, dans son ouvrage récent intitulé: Les Pays-Bas sous Charles-Quint.-Pour ma part, j'estime qu'un grand homme doit être présenté dans son ensemble, et qu'on ne peut pas le scinder. On a justement reproché à Robertson d'avoir, dans son Histoire de Charles-Quint, négligé la découverte de l'Amérique, dont il fit l'objet d'un ouvrage à part. Que dire de l'idée de regarder ce héros au seul point de vue belge ou italien? Mais si l'on accepte cette donnée, il faut convenir que M. de Leva a fait une œuvre patriotique et s'en est parfaitement tiré. Non-seulement il a consulté les publications les plus récentes, mais il a exploré les archives d'Italie et d'Espagne. On sait quels trésors sont enfouis dans les archives de Simancas. L'auteur n'y a pas seulement cherché ce qui avait trait à l'histoire d'Italie. Quels sont en effet les événements de ce règne mémorable qui n'ont pas quelque relation avec un pays aussi important que l'était alors l'Italie ? Et l'événement principal de ce règne, la Réforme, est intimement lié avec l'histoire de la cour de Rome et conséquemment avec notre pays, dont Rome a toujours été la tête et le cœur. M. de Leva sympathise peu avec les papes : il transporte à cette époque les haines et les aspirations de la nôtre. Ce n'est pas moi

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1 Storia documentata di Carlo V, in correlazione all' Italia. Venise. Naratovich. 2 vol. ont paru.

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