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la bouche tronquées et en désordre; il en fera la comparaison en mille manières. Il s'en trouvera deux, par exemple, qui auront des sons communs, et par conséquent les mêmes mots pour désigner ces sons cette remarque ne pourra lui échapper. Supposons qu'il l'ait faite sur ces deux phrases, l'une de l'Amour filial, l'autre de Richard Coeur-de-lion :

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Il sentira pourtant que ces phrases ne se ressemblent pas en tous points; mais comme il ne verra rien dans l'intonation qui les différencie, il sera forcé de reconnaître que c'est par durée des sons que l'une se distingue de l'autre. Il réitérera ses comparaisons sur d'autres phrases; il arrivera aux mêmes conséquences. Dès-lors, il s'élevera tout seul à ce principe : que les mots sol, ut, si, ré, etc. se rapportent à des inflexions différentes de la voix, et nullement aux diverses durées des sons. Il voudra de suite faire l'essai de son principe; car c'est bien le sien: il me semble le voir transporté du plaisir de l'avoir découvert, et dans l'impatience de se le confirmer, faire un nouvel assortiment des sons qui

entrent dans les phrases qu'il a comparées, les chanter sous les mêmes noms, dans le même ordre de succession, mais sous des durées différentes, et demander à tous ceux qui l'entourent s'il ne nomme pas bien les sons qu'il fait entendre. Ce premier pas était pour lui le plus difficile

à faire ; il lui fallait séparer deux idées qu'il avait jusqu'alors confondues, en attribuant à chaque mot sol ut mi, etc., la double propriété de désigner et l'intonation et la durée du son. Désormais dégagé de cette entrave, șes comparaisons, devenues plus faciles, vont se multiplier indéfiniment. Bientôt il connaîtra au juste la vraie propriété des mêmes mots; il les combinera au hasard, il en fera lui-même des phrases auxquelles il ne manquera peut-être que d'une certaine mesure pour être agréables.

Mais voyons de plus près quelle idée il se sera faite des syllabes de la gamme. Ces syllabes lui rappelleront-elles chacune un son fixe, une intonation déterminée? Sa glotte se sera-t-elle disposée comme un piano qui ne peut sonner un fa qu'au degré que donne telle touche, et au ton où l'on a monté l'instrument? Non, il n'en sera pas ainsi : un fa,un sol, ne seront pas pour lui des qualités absolues comme le vert ou le rouge. Ce seront des qualités relatives au ton

qu'il voudra prendre pour chanter. Donnez-lui un ut arbitraire, ou bien qu'il le prenne de luimême, comme c'est sa coutume, et de suite il vous exprimera le fa de cet ut, le sol de cet ut, non le fa et le sol de tel piano : un autre ut appellera dans sa pensée un autre fa, un autre sol. Proprement il est encore plus avancé qu'on n'imaginait; il s'est élevé jusqu'aux idées générales de tonique, de médiante, de dominante, de sensible, etc.; et ce sont vraiment ces idées qu'il entend désigner par les noms ut, mi, sol, si, etc. Comment donc a-t-il généralisé jusqueslà ? Très-facilement : le voici. J'ai dit que j'avais ramené à un même ton tous les airs que je lui enseignais; ce n'est pas à dire qu'il les ait tous chantés sur le même ton, on sent que la chose lui aura été souvent impossible; mais c'est-àdire qu'il en a toujours dénommé les sons comme si le ton fût resté le même, et tel par exemple que celui d'ut naturel. Par-là, je l'ai empêché d'attacher au nom d'ut l'idée d'aucun son déterminé, puisque souvent il aura eu besoin de changer d'ut en changeant d'air, que souvent aussi il aura changé d'ut sans nécessité, et que d'autres fois encore il aura changé d'air sans changer d'ut. D'où il arrive qu'il n'a pu lier ces noms qu'à des intervalles de sons et non à des

sons fixes. Ne lui demandez donc pas de vous chanter un sol isolément, il ne saurait ce que vous voulez dire, ou bien il supposerait d'abord un ut pour terme de comparaison; mais demandez-lui de vous chanter deux ou plusieurs sons dans un ordre que vous déterminerez vousmême : sol,mi, sol,ré,la,fa,ré,si,ut; comme tous ces intervalles sont bien gravés dans sa tête, tant majeurs que mineurs, il n'en manquera pas

un.

que

Ce serait une grande absurdité que de vouloir l'élève attachât aux notes de la gamme l'idée d'un degré de son invariable, parce que, diraiton, ils se rapportent à des touches déterminées du clavier; comme si c'est une chose à pouvoir retenir en mémoire que la gravité absolue d'un son; comme si nous pouvions retenir exactement autre chose que les degrés relatifs de gravité appelés intervalles; et comme si ce n'était pas là aussi le point essentiel, celui qui nous fait reconnaître un air pour méme en divers temps et en diverses bouches, le seul enfin par où la musique puisse être écrite et lue. Et où est, dans la nature, ce degré fixe d'intonation auquel on voudrait ramener la lecture de la musique? Est-il dans la voix humaine soumise à toutes les influences de l'atmosphère? Est-il dans les

instrumens soumis aux mêmes influences, et encore au caprice de ceux qui les accordent? Tous les instrumens du monde sont-ils montés au même ton? Et quand on parle du ton de sol, par exemple, l'entend-on à la chapelle comme à l'opéra, à la capitale comme en province, en France comme en Italie? S'il n'en est pas ainsi, pourquoi vouloir mettre dans la tête des élèves une idée vague de son fixe, dont ils ne retirent d'ailleurs aucun profit pour l'exécution? Car les musiciens savent bien que ce n'est pas sur cette idée qu'ils se règlent eux-mêmes pour lire la musique; c'est sur la relation des notes dans chaque ton. C'est donc cette relation qu'il faut faire connaître aux élèves; or, pour qu'ils la connaissent dans tous les tons, il suffit qu'ils la sachent bien dans un seul qui soit le type originaire des autres. D'un ton à un autre, il n'y a rien de changé que les noms des notes; mais les rapports demeurent les mêmes; et quand on songe à la facilité qu'il y a pour tout le monde de transporter un air connu sur des paroles nouvelles, on conçoit de même qu'il est facile de transporter un ton connu sur un autre ton, pour en dénommer les notes différemment.

Il est si peu vrai qu'on lise une à une les notes de la musique comme les syllabes du

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