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II

NOTICE HISTORIQUE ET CRITIQUE

conseilla de le faire voir à un amateur de La Haye ; il l'y porta lui-même; le morceau plut et fut payé cent florins. Cette somme pensa faire tourner la tête au jeune artiste, qui, au lieu de revenir à pied, prit un chariot de poste pour apporter plus promptement à son père la nouvelle d'un si heureux début.

L'appât du gain fit travailler Rembrandt avec plus de zèle et d'activité. Lorsqu'il voulut graver, vers 1628, il fut dans cet art aussi singulier que dans la peinture, il y employa l'eauforte et la pointe sèche, sans s'astreindre à aucune des règles suivies par les autres artistes.

Ayant eu l'occasion de faire avec succès quelques portraits, Rembrandt pensa que cette occupation deviendrait plus lucrative dans une grande ville; il alla donc s'établir à Amsterdam en 1630. Les travaux lui arrivèrent abondamment, et, confiant dans son talent, malgré son amour pour les richesses, il épousa par inclination une jolie paysanne du Waterland, dont il a plusieurs fois fait le portrait.

C'est à tort qu'on a cru que Rembrandt avait été à Venise en 1634; il ne quitta jamais la Hollande, et travailla toujours avec une assiduité extrême. Bizarre dans son habillement, malpropre sur sa personne, et d'une physionomie grossière, il ne se plaisait qu'avec le bas peuple, et disait : Je me garde bien de chercher les grandeurs qui me génent, mais je veux la liberté. Aussi le bourgmestre Six, son admirateur et son ami, ne putil jamais réussir à le mener dans le monde.

Les premiers tableaux de Rembrandt étaient finis avec un soin égal à celui de Mieris; on cite dans cette manière, la Barque de saint Pierre, Aman et Assuérus, et la Femme adultère; mais plus d'acquis d'une part, et la soif insatiable de l'or, le déterminèrent à travailler avec plus de prestesse. C'est à ce qu'on croit, un motif semblable qui le détermina souvent à tirer des épreuves de ses gravures avant qu'elles fussent "termi

nées, puis à y faire ensuite des changemens peu importans, dans le but seulement de forcer les amateurs à lui acheter plusieurs fois les mêmes estampes, car on en connaît dont il a tiré jusqu'à sept épreuves, avec des différences.

N'ayant d'autres règles que son caprice, Rembrandt voulut souvent astreindre les autres à s'y conformer. On raconte qu'un jour ayant peint toute une famille dans le même tableau, il y joignit le portrait de son singe, dont on vint lui apprendre la mort tandis qu'il était à travailler, et il aima mieux garder son tableau que de consentir à effacer cette tête étrangère à la famille, avec laquelle il trouvait apparemment qu'elle avait quelque rapport. Également bizarre dans sa manière de peindre, Rembrandt chargeait ses lumières d'une épaisseur si considérable, qu'on aurait pu croire qu'il cherchait à modeler. On va même jusqu'à citer un portrait où le nez était presque aussi saillant sur la toile que l'était dans la nature celui de son modèle. Il est inutile de dire que cette plaisanterie est exagérée, mais on pense bien que cette manière de peindre n'était pas du goût de tout le monde, et Rembrandt s'en embarrassait peu. Voulant faire entendre à quelqu'un que ses ouvrages n'étaient pas destinés à être vus de près, il lui dit qu'un tableau n'était pas fait pour être flairé, que l'odeur de la couleur n'était pas saine.

On a dit quelquefois que si Rembrandt eût été en Italie, il aurait acquis plus de perfection; cela est fort douteux, car il aurait fallu changer sa façon de penser. S'il a souvent donné à ses figures des expressions triviales, c'est qu'il le voulait, car ses portraits sont ordinairement d'un beau caractère; et lorsque dans un tableau il représente Jésus-Christ, St. Pierre ou St. Jérôme, la tête principale est remplie de noblesse. Son dessin est souvent incorrect, mais c'est encore parce qu'il n'a pas voulu prendre la peine de faire mieux. Les bons exemples ne lui auraient pas manqué d'amples recueils de gravures des

IV

NOTICE HISTORIQUE ET CRITIQUE

grands maîtres italiens se trouvaient en Hollande; mais Rembrandt faisait peu de cas de ces objets d'étude. Il ne connaissait de l'antique que le nom, et ne le prononçait que pour s'en moquer. Ayant rassemblé dans son atelier quelques vieilles armures et des vêtemens étrangers ou bizarres, dont il se plaisait à affubler plutôt qu'à draper ses modèles, il nommait cela ses antiques. Il ne sentait aucun besoin d'étudier les tableaux du Titien, parce qu'il avait à sa disposition quelques velours ou d'autres étoffes qu'il répétait dans ses tableaux. Du reste, il perdait un temps considérable à draper ses figures, n'étant dirigé dans ce travail ni par un goût sûr, ni par des études réfléchies.

La touche hardie des ouvrages de ce peintre pourrait faire croire qu'il travaillait promptement; mais sans cesse incertain sur la pose de ses figures et sur le jet de leurs draperies, il se trouvait souvent obligé de changer ce qu'il avait fait : son opiniâtreté au travail remédia souvent à ces inconvéniens. Rembrandt aimait les vives oppositions de la lumière et des ombres; il posséda l'intelligence du clair-obscur à un point étonnant, et on pense que pour obtenir des effets aussi brillans que ceux qu'on trouve dans quelques uns de ses tableaux, il avait disposé son atelier, d'ailleurs assez sombre, de manière à ne recevoir la lumière que par un trou, et qu'il profitait de ce rayon de lumière pour le faire frapper à son gré sur la partie de son modèle qu'il voulait éclairer. Quand au contraire il voulait des fonds clairs, il passait derrière l'objet qu'il voulait peindre une toile d'une couleur convenable, et sur laquelle se détachait son modèle avec la dégradation qu'il désirait.

Rembrandt ébauchait ses portraits avec précision et une force de couleur qui lui était particulière. Ils étaient d'une ressemblance frappante, la nature n'y était point embellie, mais rendue avec une simplicité et une fidélité merveilleuses. On peut admirer sous ce rapport le célèbre tableau que l'on

voit au théâtre anatomique d'Amsterdam, dans lequel se trouve le professeur Nicolas Tulp, faisant en 1632 une démonstration en présence de plusieurs personnes célèbres, parmi lesquelles on doit citer Jacques de Witt. La manière de faire de Rembrandt est une espèce de magie; tout est chaud dans ses ouvrages; personne n'a connu plus que lui les effets des différentes couleurs entre elles, et n'a mieux distingué celles qui sont amies d'avec celles qui ne se conviennent pas.

Ce n'est pas seulement comme peintre que Rembrandt s'est distingué; il a été aussi remarquable lorsqu'il s'est occupé de graver. De même que ses tableaux, ses gravures sont pleines d'intérêt et de défectuosités : une liberté vagabonde, un désordre facile et un effet vigoureux, sont les caractères distinctifs des estampes de Rembrandt. L'exécution de ses planches est tantôt brute, tantôt finie ; mais toujours les tailles s'y croisent en sens si différens, qu'on ne saurait en suivre la marche ni se rendre compte de leur conduite, comme on peut le faire dans les estampes des autres graveurs. Cependant, en examinant avec soin quelques unes de ses estampes, on aperçoit qu'il a souvent retouché ses planches à l'eau-forte; d'autres font voir qu'il était très exercé dans la pratique de la pointe sèche. Enfin, comme il faisait lui-même ses épreuves, il a encore employé des moyens extraordinaires lors de l'impression, en essuyant plus ou moins ses planches, de manière à ce que quelques unes de ses estampes offrent l'apparence d'un lavis au pinceau.

Rembrandt fut toute sa vie fort occupé ; il fit des portraits qui sont aujourd'hui aussi recherchés que ses tableaux d'histoire; on en connaît plus de cent. Quant à ses gravures, elles sont au nombre de trois cent quatre-vingt, dont quelques unes sont si rares, que des épreuves ont été payées de 1200 francs à 2000 francs. Son OEuvre à la Bibliothèque du roi, y compris les épreuves avec des différences, monte à sept cent cinquante

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NOTICE HISTOR. ET CRIT. SUR REMBRANDT.

deux pièces. Rembrandt a fait aussi un grand nombre de dessins, ordinairement croqués à la plume avec un peu de lavis au bistre, d'une manière très heurtée et très franche, ce qui les fait reconnaître des copies toujours froides et guindées.

Ce peintre, qui cherchait tous les moyens de tirer parti de son talent, eut un grand nombre d'élèves, et Sandrart assure que cela lui valait 2500 florins par an. Parmi eux on remarque Vanden Eeckout, Flinck, Ferdinand Bol, Lievens, van Vliet, Gérard Dow, Léonard Bramer, Nicolas Maas, Koning, Godefroy Kneller, si célèbre en Angleterre par ses beaux et nombreux portraits, et enfin son fils Titus, qui a vécu dans l'obscurité.

Rembrandt, malgré ses nombreux travaux, vivait misérablement; on assure que son repas n'était quelquefois composé que d'un seul hareng avec un morceau de fromage. C'est dans cet état de privation, et pour ainsi dire d'abjection, que vécut cet habile peintre jusqu'à l'âge de soixante-huit ans qu'il mourut à Amsterdam en 1674.

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