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NOTICE

HISTORIQUE ET CRITIQUE

SUR

NICOLAS POUSSIN.

Il semble qu'il soit dans les destinées de la France de n'avoir rien à envier aux autres pays dans quelque genre de gloire que ce soit. Si l'Italie s'honore de Raphaël, l'Allemagne d'Albert Durer, et la Flandre de Rubens, la France peut se glorifier d'avoir donné naissance à Poussin, qui reçut l'épithète de peintre des philosophes et des gens d'esprit, et auquel les Italiens donne le nom de Raphaël français.

Nicolas Poussin naquit aux Andelys dans le mois de juin 1594 son père, originaire de Soissons, avait perdu par suite des guerres civiles le peu de bien qu'il avait eu. Pendant ses premières études, Poussin manifesta son goût pour le dessin, et ses progrès furent rapides dès qu'il eut la permission de s'y livrer. Quentin Varin, peintre d'Amiens, fut son premier maître, et développa en lui les dispositions de ce talent qui reçut ensuite de si grands accroissemens. C'est de ce maître qu'il apprit à peindre à la détrempe, avec une prestesse dont on verra plus tard une preuve extraordinaire.

A l'âge de dix-huit ans, Poussin quitta la maison paternelle, et vint à Paris dans l'intention de se livrer entièrement à l'étude des beaux arts. Il reçut d'abord quelques leçons de Ferdinand Helle, peintre flamand connu par plusieurs portraits, et ensuite de Lallemant, peintre de peu de talent, mais qui

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pourtant composait des tableaux. Poussin sentit bientôt que de tels maîtres ne pouvaient le diriger long-temps: dès qu'il eut appris d'eux la manœuvre de l'art, il les quitta pour étudier Raphaël et Jules Romain, dont les estampes commençaient à se répandre en France, et dont il trouva des recueils assez nombreux chez un mathématicien du roi logé au Louvre.

Un jeune seigneur du Poitou, amateur de peinture, voulant faire décorer son château, engagea Poussin à le suivre, mais c'est inutilement qu'il fit ce voyage. La mère de ce jeune gentilhomme voulut charger notre artiste de travaux étrangers à son art, ce qui ne pouvait lui convenir. Avant de revenir à Paris, notre jeune peintre s'arrêta à Blois, où, pour subvenir à ses dépenses, il fit deux tableaux dans l'église des capucins. Au château de Chiverni, il peignit plusieurs bacchanales; mais sa santé l'obligea alors d'aller passer une année dans sa famille. Il revint ensuite dans la capitale, et tenta deux fois le voyage en Italie, mais il fut forcé de s'arrêter la première fois à Florence, et l'autre fois à Lyon.

Pendant son séjour à Paris, il fut employé avec Ph. de Champagne à peindre quelques décorations dans les appartemens du Luxembourg, sous la conduite de Duchesne, artiste peu connu et qui pourtant avait le titre de peintre de Marie de Médicis. En 1623, lors de la canonisation de saint Ignace et de saint François-Xavier, Poussin fut chargé de faire six tableaux en détrempe; une semaine lui suffit pour ce travail, qui lui fit le plus grand honneur, et lui gagna l'amitié du cavalier Marini. Enfin, l'année suivante, Poussin put effectuer son voyage à Rome; il y arriva lorsque le cavalier Marini qu'il avait connu à Paris partait pour Naples, où il mourut peu de temps après. Le cardinal Barberini, neveu du pape Urbain VIII, auquel il avait été recommandé, quittait aussi Rome, et Poussin se trouva dans cette grande ville sans connaissance, sans appui, sans autre ressource qu'un talent peu

apprécié, parce que personne ne le faisait valoir. Réduit à un état de misère qui aurait plongé une ame faible dans le désespoir, pouvant à peine tirer de ses tableaux le prix que lui coûtaient les toiles et les couleurs, notre artiste se vit forcé de donner deux sujets de bataille pour sept écus chaque, tandis qu'un jeune peintre romain reçut pour une copie le double de ce que Poussin avait obtenu pour l'original.

Malgré son état de dénûment, Poussin se trouvait heureux, il pouvait étudier l'antique et Raphaël: lié d'amitié avec François du Quesnoy, dit François Flamand, qui était du même âge que lui, et avec Alexandre Algarde, sculpteur italien, ces trois artistes étudiaient ensemble, mesuraient des statues antiques, et faisaient en cire de petits modèles. L'un d'eux, donné par Poussin à M. de Chantelou, est maintenant dans la possession de l'auteur de cette notice; il représente Ariadne abandonnée dans l'ile de Naxos, statue connue alors sous le nom de Cléopâtre; ce morceau est on ne peut plus curieux par la perfection avec laquelle il est exécuté.

Pendant son séjour à Rome, Poussin se promenait souvent dans les environs de cette ville, et il faisait des croquis, soit pour orner ses tableaux d'histoire, soit pour composer des paysages dans le genre héroïque. Dans d'autres momens, il étudiait la perspective d'après les ouvrages du P. Zaccolini; l'architecture d'après Palladio; et l'anatomie, soit avec les écrits et les figures de Vesale, soit dans le cabinet de Nicolas Larche, chirurgien célèbre. En parcourant les rues, les promenades, il y examinait soigneusement les passans, leur physionomie, leur attitude, leurs vêtemens, et surtout l'expression de leur physionomie, puis en conservait des croquis dont il se servait ensuite dans ses compositions. Quant à la peinture, il prit pour modèle Dominique Zampieri, et ramena à l'étude de ses tableaux, tandis que ceux de Guido Reni avaient jusque là

IV

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Le cardinal Barberini, étant revenu à Rome, s'empressa d'utiliser les talens du Poussin; le premier tableau que lui demanda cette éminence fut la Mort de Germanicus. Un tel protecteur suffisait assurément pour faire cesser la détresse que notre peintre ressentait depuis long-temps; mais toujours simple dans ses goûts, Poussin ne cherchait pas à tirer parti des circonstances. Il ne faisait jamais aucun prix d'avance; lorsque son tableau était fini, il écrivait le prix derrière, et sa modestie lui a fait refuser quelquefois ce qu'on voulait lui donner au dessus de sa demande.

Vers ce temps Poussin fut attaqué près de Monte-Cavallo; il reçut un coup de sabre entre le premier et le deuxième doigt de la main droite; plus tard une maladie grave le mit ensuite dans la gêne : c'est alors qu'il fut accueilli et secouru par un de ses compatriotes Jacques Dughet. En 1629, il épousa AnneMarie, fille de son hôte. N'en ayant pas eu d'enfans, il adopta son frère, connu sous le nom de Guaspre Poussin, et si célèbre par ses beaux paysages.

Le cavalier del Pozzo, amateur célèbre, se fit aussi remarquer par l'amitié qu'il témoigna à notre peintre : il mit à sa disposition toutes les antiquités et les médailles qu'il avait recueillies, lui fit faire des tableaux qui n'étaient pas des moindres ornemens de son cabinet, puis enfin lui fit obtenir pour l'église Saint-Pierre un tableau de saint Érasme, qui est le seul où Poussin ait mis son nom. C'est alors qu'il exécuta pour son protecteur la première suite des Sept Sacremens, qui a été gravée à l'eau-forte et par Jean Dughet son beau-frère, et par Châtillon. Il fit aussi plusieurs tableaux pour M. de Créqui, ambassadeur de France à Rome; les Israélites recueillant la mâne, Renaud et Arimide, pour le peintre Stella; un Triomphe de Neptune, pour le cardinal de Richelieu. La réputation de Poussin fut à peine connue à Paris, que le cardinal engagea le roi à le rappeler de Rome, pour le charger de décorer la galerie

du Louvre; mais le séjour de l'Italie plaisait à notre peintre philosophe, qui disait avec raison chi sta bene, non si muova. Cependant, malgré sa répugnance, il fut forcé de céder; et lorsque M. de Chantelou vint à Rome, il l'emmena, à la fin de 1640. A son arrivée à Fontainebleau, un carrosse de la cour conduisit Poussin à Paris, où il fut logé dans le jardin des Tuileries. Accueilli par le roi Louis XIII, il fut aussitôt chargé de faire, pour la chapelle de St-Germain, un tableau de la Cène, maintenant au Musée de Paris, et du petit nombre de ceux où il fit des figures de grandeur naturelle. Indépendamment des tableaux qui lui furent demandés par le roi, il fit encore huit cartons pour des tapisseries, plusieurs dessins pour des frontispices d'ouvrages imprimés aux frais du roi, puis des compositions relatives à l'histoire d'Hercule, qui devait être peinte dans la voûte de la grande galerie du Louvre.

Par arrêt du 20 mars 1641, Poussin fut nommé premier peintre du roi cette nouvelle faveur, jointe à toutes les autres, excitèrent la jalousie de Vouet et de ses élèves, de Fouquières peintre de paysages, qui avait cru être chargé de peindre des vues de France dans la galerie du Louvre, et de l'architecte le Mercier, dont on venait d'abattre les lourds caissons qui décoraient la voûte de cette galerie. Fatigué des désagrémens que lui causaient toutes ces personnes, Poussin demanda un congé pour aller à Rome chercher sa femme qui y était restée, et partit au mois de novembre 1642; mais la mort du cardinal, celle du roi Louis XIII, et la retraite de M. des Noyers, laissèrent à Poussin la liberté de demeurer à Rome. Il y rendit de nouveaux services aux arts et à sa patrie en donnant quelques conseils à Le Brun et à Mignard. Il remplissait ainsi les fonctions de directeur, avant l'établissement de l'Académie de France à Rome. C'est sans doute à ce titre que Louis XIV lui conserva dans cette ville sa pension, ainsi que le titre de son premier peintre.

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