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XIX

L'enseignement! le premier mot en toutes choses et aussi le dernier mot! Qu'il y aurait à dire sur ce vaste thème, même en se renfermant dans le cercle des études géographiques, si j'avais pu et voulu sortir de la cartographie! Il aurait fallu toucher aux systèmes d'éducation scolaire, et entrer dans le champ infini des livres, chercher ce qui se fait et ce qui pourrait se faire, dire quels livres nous avons et quels livres nous manquent. Il nous aurait fallu signaler de singulières aberrations et de non moins singuliers oublis dans les récompenses données par le jury; mais il fallait prononcer des noms propres, ce qui répugne toujours quand il s'agit de ce qui nous entoure.

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Ce que nous avons dit du passé et du présent de la géographie en France renferme aussi une grande leçon. Nous avons en longtemps dans la science géographique, base fondamendatale de toutes les grandes études, une suprématie que nous avons perdue. Par quelles causes sommes-nous déchus de notre rang? nous n'avons pas à la raconter: ce qui importe, c'est de travailler à le reconquérir. Dans les sciences et dans les lettres, non moins que dans les armes, une nation qui abandonne une supériorité se découronne d'une de ses gloires. Encore ici n'est-ce pas à la suprématie que nous aspirons, mais tout au moins à l'égalité. Pour cela, il faut que ceux qui président à notre éducation générale comprennent bien quels besoins il y a à satisfaire, quelle lacune à remplir.

Ce n'est certes pas le mauvais vouloir qui est à craindre pis que cela, c'est l'indifférence et l'oubli. Ainsi, pour ne citer qu'un fait (mais il est capital): tant que nous verrons

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le Collège de France privé d'une chaire de géographie, pas de chaire de géographie au Collège de France! — nous croirons difficilement qu'on se préoccupe bien sérieusement chez nous de l'éducation géographique. L'éducation primaire est une tâche immense, sans doute, et un immense bienfait; mais l'éducation supérieure n'est pas un moindre besoin Si l'éducation des masses fait les nations fortes, c'est par les hautes études qu'une nation est grande.

AFRIQUE

L'Afrique reprend cette année son rang de primauté dans notre tableau du mouvement géographique. Les publications notables dont elle a été l'objet, les voyages qui s'y sont accomplis et ceux qui s'y poursuivent, les entreprises nouvelles qui s'y dirigent et l'expédition armée que l'Angleterre envoie en Abyssinie; plus que cela encore, la gigantesque opération du percement de l'isthme de Suez qui marche rapidement à son terme, et sur laquelle l'Exposition universelle a plus que jamais fixé l'attention du grand public par l'image saisissante qu'elle en a donnée; enfin les vives inquiétudes que le sort de Livingstone inspire et qui ne paraissent malheureusement que trop fondées, tout appelle en ce moment sur l'Afrique le plus sérieux intérêt des amis de la science aussi bien que du monde politique.

I.

L'EXPÉDITION DU D' LIVINGSTONE.

§ 1. La dernière lettre du voyageur. - Nouvelles funèbres. Lettres du Dr Seward et du Dr Kirk écrites de Zanzibar. - Enquête et témoignages.

1. Lettres et documents relatifs à Livingstone, dans les Proceedings of the Royal Geogr. soc., vol. XI, no 1, p. 15, et n° 3, p. 111 et 124-148.

2. Dav. LIVINGSTONE. Lecture on the discoveries in Africa, delivered at Bombay the 12 october 1865. Journal of the Bombay branch of the Royal Asiatic soc., 1864-65. Bombay, 1867, in-8, Proceedings of the society, p. XCI-CV.

Nous avons dit il y a un an1 quel était l'objet et le caractère du nouveau voyage entrepris en 1866 par l'habile et courageux explorateur de l'Afrique australe. Cette expédi tion nouvelle avait deux buts essentiels : compléter d'abord l'exploration inachevée, dans sa moitié septentrionale, du Nyassa du sud ou lac Maravi; et en second lieu achever, au sud et au nord, la reconnaissance du grand lac central, le Tanganika, si heureusement commencée en 1859 par Burton et Speke, reconnaissance à laquelle se rattachent des questions de premier ordre pour la géographie physique du continent africain.

Cordialement accueilli à Bombay, où il s'était rendu vers la fin de 1865 pour y terminer ses derniers préparatifs, Livingstone se rembarqua au commencement de 1866 pour la côte africaine. Après avoir touché à Zanzibar, il se porta vers le sud sur le vapeur le Penguin, afin de gagner la Rovouma qu'il se proposait de remonter pour pénétrer dans l'intérieur. La Rovouma débouche à la còte entre le 10° et le 11 degré de latitude, à 4 degrés au sud de Zanzibar; Livingstone en avait déjà reconnu le cours inférieur durant sen précédent voyage. Mais il faut ici le laisser parler luimême; la lettre où il raconte son arrivée sur cette rivière dont il voulait faire le point de départ de sa nouvelle entreprise a pour nous d'autant plus d'intérêt, que c'est la dernière qu'il ait écrite. Il est, hélas! trop probable que ce sont les dernières paroles que nous devions entendre de lui. La. lettre est datée de Ngomano, sur la Rovouma, 18 mai 1866. Arrivée à la bouche de la rivière, l'expédition la trouva

1. Voir le t. V de l'Année géographique, p. 318.

tellement enveloppée de terrains marécageux couverts de mangliers, que dans l'impossibilité d'y frayer un passage pour les chameaux, on dut prendre le parti de revenir au nord en longeant la côte pendant 25 milles environ. On arriva ainsi à la baie de Makindani, au fond de laquelle s'ouvre un joli port connu sous les noms de Kinday et de Pemba. Six pauvres villages d'Arabes pêcheurs, qui peuvent compter ensemble une population de 300 âmes, lui forment une ceinture extérieure. Ce fut de là que Livingstone partit avec son escorte pour s'enfoncer dans les terres..

Notre route, écrit-il, se dirigeait au S. S. O. vers la Rovouma, que nous rejoignimes à l'endroit même qui est marqué sur la carte comme le point d'où le Pioneer rebroussa chemin en 1861. Nous nous avançâmes sur le plateau que l'on voit s'abuter aux deux côtés de la rivière, comme une double chaîne de collines hautes de 5 à 600 pieds. Excepté les espaces que les indigènes, qui sont appelés Makondé, ont éclaircis pour la culture, tout le pays, sous l'influence de l'humidité qu'y entretient le voisinage de la mer, est couvert d'épaisses broussailles. Les arbres, en général, ne sont pas de grande taille; mais ils viennent tellement serrés, que les fourrés qu'ils forment sont impénétrables au soleil. En nombre d'endroits on peut dire que les lianes et les plantes grimpantes qui les enveloppent et s'enroulent de l'un à l'autre en d'impénétrables réseaux, ressemblent à l'inextricable confusion des câbles et des cordages d'un vaisseau, plutôt qu'aux gracieux enroulements de la vigne et du lierre dans nos climats du Nord. Des sentiers y étaient déjà ouverts, mais il fallait les agrandir pour nos chameaux et nos buffles. Au dire des gens de la côte, nous ne devions attendre aucun aide de ceux de l'intérieur; mais à notre agréable surprise, nous avions fait à peine quelques milles en amont de la rivière que nous reconnúmes que pour un salaire raisonnable nous pouvions employer telle quantité que nous voudrions de porteurs et d'hommes pour couper les bois, besogne qu'ils expédiaient avec une habileté et une prestesse remarquables. Seulement, deux jours de ce travail fut tout ce qu'ils purent faire. Il est douteux, au surplus, que quelque peuple que ce soit (sauf les Chinois, peut-être) qui ne se nourrias de viande, pût supporter d'une manière continue (sous un pareil climat),

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