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course de 1600 milles. L'état où l'hivernage laissait le navire, sans parler de l'épuisement des hommes, ne permettait pas de songer à une nouvelle campagne. Il fallut, bien à regret, se préparer au retour. En arrivant à Halifax, le Dr trouva son pays plongé dans les horreurs de la guerre civile; et au lieu de préparer une autre expédition arctique, il lui fallut prendre la direction d'une immense ambulance. Cet emploi ne lui laissait guère le loisir de penser à une œuvre littéraire; c'est ce qui a retardé de six ans la publication de sa relation personnelle, en même temps que la partie purement scientifique du voyage, la physique terrestre, l'histoire naturelle et la géographie, a été préparée pour les publications de l'Association Smithsonienne.

La pensée du Dr Hayes ne s'est jamais détournée d'une nouvelle tentative. Il voudrait conduire au port Foulke un établissement fixe, et faire de ce point, constamment ravitaillé, un centre de vastes explorations. La principale, naturellement, serait de franchir le Smith Sound et de doubler le cap Union, au delà duquel on doit, tout l'annonce, trouver une mer libre. Les observations du Dr Hayes donnent une nouvelle force à la théorie de la mer libre au pôle, par suite de la température élevée qu'y porte, à ce qu'on suppose, le Gulf Stream. On sait avec quelle continuité ce courant chaud de la mer équatoriale se maintient dans la direction polaire, et l'on a de fortes raisons de croire que son action continue se fait sentir des côtes de la Norvége jusqu'aux rivages de le la Sibérie, en traversant la mer Polaire. Le Dr Hayes, citant un écrit du Dr Hickson, dit à ce sujet :

On a toujours supposé que le pourtour immédiat des deux pôles devait être la partie la plus froide de chacun des deux hémisphères, parce que ce sont les points les plus éloignés de l'équateur. De là cet argument que plus haute est la latitude, plus grands doivent être les difficultés et les dangers de la navigation. Une opinion tout à fait opposée avait néanmoins com

mencé à prévaloir chez les météorologistes après la publication, en 1817, du système isothermal d'Alexandre de Humboldt, qui montra que la température n'est pas réglée par la distance à l'équateur. En 1821, sir David Brewster établit, dans un mémoire sur la température du globe, la probabilité que le thermomètre doit se tenir à 10 degrés plus haut aux pôles que dans certaines parties du cercle arctique. On n'a pas découvert depuis lors de faits nouveaux qui aillent contre cette conclusion, et il en est beaucoup, au contraire, qui tendent à la confirmer.

Au milieu de ces discussions physiques, il faut admirer le courage des hommes dévoués qui ne craignent pas, pour contribuer à l'avancement de la science, d'affronter les souffrances et les périls de ces affreux climats.

§ 2. Le voyage au Groenland de M. Edward Whymper.

Un des alpistes les plus déterminés d'Angleterre, M. Edward Whymper, ambitieux d'un théâtre plus vaste, sinon plus rude et plus périlleux que les pics maintenant trop connus des montagnes de la Suisse, conçut, l'an dernier, le projet d'un voyage qui devait joindre à l'importance scientifique tout l'intérêt de la nouveauté. Il ne s'agissait de rien moins que de pénétrer au cœur du Groenland, dont les parties intérieures n'ont jamais été explorées. Des troupes de daims et de rennes qui se voient assez fréquemment au voisinage des côtes, donnent lieu de penser, comme nous avons eu déjà occasion de le remarquer avec le Dr Hayes, que l'intérieur est moins impropre qu'on ne serait porté à le croire à la vie animale. D'excellents auxiliaires engagés au Danemark, de vigoureux attelages pour les traîneaux, des instruments, des provisions de toute sorte, tout ce qui devait faciliter le voyage et en assurer la réussite, avait été prévu et préparé, tout, excepté les accidents exceptionnels avec lesquels il faut toujours compter sous ces climats

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extrêmes. Une lettre écrite de Copenhague, le 23 octobre, par M. Whimper de retour de la baie de Baffin, nous apprend l'insuccès de sa tentative et en fait connaître la cause1. L'été s'annonçait bien et les circonstances promettaient d'être des plus favorables, lorsque a éclaté une épidémie qui a porté le ravage et la consternation au sein de la colonie danoise. Un mois a été perdu sans qu'il fût possible de se procurer les hommes sur lesquels on avait dû compter, et dès lors la saison trop avancée ne permettait plus de tenter les excursions projetées. C'est une année perdue pour les plans de M. Whimper; l'histoire naturelle aura seule tiré quelque profit de son voyage interrompu. Sous ce rapport, un passage de sa lettre promet de très-intéressants résultats. Quelque anciennes que soient ces immenses montagnes de glace, écrit-il à propos des glaciers qui forment comme une ceinture au-dessus des côtes, à quelque date incalculable qu'elles remontent, on ne peut dire qu'elles soient éternelles ni d'une époque primordiale, quand on trouve auprès d'elles, presque côte à côte, une forêt fossile composée de nombreuses espèces, non pas, comme quelques-uns l'ont conjecturé, formée de bois et de feuilles venus d'autres latitudes et jetés par les vagues sur cette côte inhospitalière, mais formant des couches d'une telle profondeur, qu'il n'est pas permis de douter que les arbres dont elles proviennent aient vécu sur le lieu même. Une forêt de ce genre se trouve sous le 70° degré de latitude, et les espèces supposent une telle différence de climat qu'il faut exclure toute idée que les glaces et les neiges actuelles aient de tout temps couvert le pays. Les collections que j'en ai rapportées parleront d'elles-mêmes. »

1. Athenaeum, no 2093, 7 décembre, p. 767.

3. Projet d'une expédition française au Pôle. M. Gustave Lambert.

La périlleuse odyssée du Dr Hayes est la dernière tentative qui ait été faite pour franchir la ceinture de glaces contre laquelle sont venus échouer tous ceux qui depuis trois siècles ont voulu pénétrer dans la région extrême dont le pôle occupe le centre. Mais depuis le voyage du docteur américain, de nouveaux projets d'expéditions polaires ont occupé le monde scientifique. Il s'en est produit un en Angleterre au sein de la Société de géographie de Londres; un autre a été propagé en Allemagne par la vigoureuse initiative du docteur Augustus Petermann, l'éminent directeur du journal géographique de Gotha. Le projet anglais s'est amorti contre le refus de concours de l'amirauté, et les circonstances politiques ont tout au moins suspendu le projet allemand. Cette fois, il ne s'agissait plus du passage de l'Atlantique aux mers orientales par le nord du continent américain ce difficile problème, auquel l'Europe a consacré trois siècles et demi d'efforts et de luttes, est aujourd'hui résolu. Il est résolu non au profit d'une application pratique, à laquelle s'opposeront toujours les difficultés et les périls des mers polaires, mais au grand profit de la science. Si rigoureux que soit le climat des régions arctiques, si affreusement stériles que soient des terres perdues au milieu des glaces, il y avait là plus d'une question importante pour la géographie et la physique du globe, pour l'histoire naturelle et l'ethnographie. Ces questions, notre époque a mis son honneur à les résoudre, et elle les a résolues.

Il en reste une, cependant, une seule; mais la plus grande de toutes et le couronnement des autres, LE PÔLE! Nul encore n'a pu rompre le cercle fatal qui défend, à la distance de moins de deux à trois cents lieues, deux ou trois jours

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au plus de navigation dans les mers ordinaires,—l'approche de ce point central où est le pivot du globe terrestre ; nul encore n'a pu toucher ce point unique de notre hémisphère où règne le repos absolu, centre vers lequel se dirigent, par une loi mystérieuse, les forces magnétiques du globe. Et que l'on ne croie pas que la pensée d'un voyage au pôle soit seulement inspirée par une fantaisie spéculative. Un projet émané d'un des hommes les plus experts de la marine anglaise, repris par le géographe le plus autorisé de l'Allemagne, chaudement appuyé par les marins les plus éminents et par les savants les plus considérables de l'Europe, un tel projet touche à quelque chose de plus qu'à la simple curiosité.

La possibilité du voyage, nul ne la met aujourd'hui sérieusement en doute: c'est une question de route et de saison. Bien choisir le moment du départ et la direction à prendre, tout est là maintenant. Pour le moment de l'année le mieux approprié, la longue pratique que l'on a de la région arctique, et l'insuccès même des tentatives antérieures, donnent actuellement aux marins de suffisantes indications; et, quant à la route à suivre, il n'y en a pas seulement une, il y en a plusieurs qui présentent des chances favorables. En Angleterre, de même qu'en Amérique, on tient pour la route de la baie de Baffin, entre le Groenland et les archipels glacés du nord de l'Amérique : c'est en effet une région dont quarante années de tentatives et de navigations incessantes, depuis Ross et Parry jusqu'à Franklin et Mac Clure, ont fait, on peut dire, un domaine tout anglais. En Allemagne, on préfère la voie plus directe de la mer du Nord, entre le Groenland et le Spitzberg. Il ne faut pas regretter cette divergence de vues; deux expéditions simultanées par les deux routes auraient donné une double chance de réussite.

La France est-elle désintéressée dans ces questions d'honneur scientifique, et devait-elle rester spectatrice inactive

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