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dant une période de plus de 900 ans le nom même des Axoumites tomba dans un complet oubli. Le peu de notions que l'on peut glaner çà et là sur l'Abyssinie avant l'arrivée des Portugais au commencement du seizième siècle, c'est aux écrivains arabes qu'il les faut demander. Pour la géographie abyssine du quinzième siècle, on commence à trouver d'intéressantes indications dans les chroniques nationales que Bruce a extraites ou analysées dans sa relation. Les rapports qui s'étaient établis depuis le commencement du quinzième siècle entre l'Abyssinie et Rome fournirent à Fra Mauro l'occasion de recueillir sur la haute Éthiopie du curieux renseignements dont il a enrichi sa précieuse Mappemonde. C'est indubitablement à la même source d'informations qu'il faut rapporter ure carte du bassin du Nil que renferme le beau manuscrit du Ptolémée latin, no 4802, de notre Bibliothèque impériale.

Les relations qui s'établirent, à partir des premières années du seizième siècle, entre l'Éthiopie et le Portugal, au moment où s'ouvrait la nouvelle route des Indes par le sud de l'Afrique, marquent, pour les temps modernes, le commencement de l'histoire géographique de cette région du continent africain, aussi bien que de son histoire politique. L'ambassade portugaise de 1520, dont le chapelain Francisco Alvarez écrivit la relation, est, à ce double point de vue, un événement mémorable. Cette relation, qu'il faut lire dans Ramusio, est encore aujourd'hui digne d'un très-grand intérêt. Des missions portugaises s'établirent dans le pays et s'y maintinrent durant cent soixante ans (jusqu'à la fin du dix-septième siècle); plusieurs relations importantes sortirent de là à diverses époques, parmi lesquelles il faut citer celles du P. Antonio Fernandez (1613), du P. Paëz (1618), du P. Lobo (1628), et d'autres mémoires particuliers que le P. Balthasar Tellez fondit dans son Historia geral de Ethiopia publiée en 1660. Il faut encore citer, parmi les productions importantes de cette période purement portugaise de l'histoire géographique de l'Abyssinie, l'Historia Ethiopica du savant Ludolf (1681-1691), le premier qui, en Europe et en dehors des Missions, ait concentré ses études sur la littérature éthiopienne. Un des grands services que l'ouvrage de Ludolf ait rendus à la géographie de l'Abyssinie, est d'en avoir rectifié et fixé la nomenclature indigène, singulièrement altérée dans la plupart des relations portugaises.

Quoique la période écoulée depuis la relation d'Alvarez eût donné à l'Europe une masse déjà considérable d'informations

importantes sur une contrée jusque-là à peu près inconnue, il faut cependant reconnaître qu'au point de vue de la topographie et de la géographie mathématique et physique, ces informations n'avaient qu'à un très-faible degré le caractère de précision scientifique qui distingue nos bonnes relations modernes. Bruce (1769-71) forme en quelque sorte la transition d'une période à l'autre.

On sait quels jugements contradictoires a soulevés la relation de l'Écossais Bruce. Accueillie avec enthousiasme à son apparition, il se fit bientôt dans l'opinion une réaction violente. Quelques faits équivoques ou évidemment controuvés avaient donné l'éveil à la critique; on alla jusqu'à contester la réalité même d'une partie au moins du voyage. C'est qu'en effet le livre de Bruce est de nature à justifier en bien et en mal ces opinions excessives. Aujourd'hui une appréciation plus calme et mieux éclairée permet de lui assigner sa véritable place. Tout en reconnaissant la vanité puérile du voyageur en une foule de circonstances, devenues pour nous fort insignifiantes; tout en faisant la part de sa fausse érudition et de son penchant aux grandes hypothèses historiques et étymologiques qui était la maladie du temps; tout en stigmatisant comme elle doit l'être l'intention, partout manifeste, d'atténuer ou de dénaturer tous les titres antérieurs aux siens, on ne peut méconnaître non plus ce qu'il y a d'ardeur scientifique, de courage, d'entraînement et de persévérance dans son esprit et dans son caractère. Ceux qui sont revenus après lui sur le théâtre de ses courses ont rendu justice à sa puissance d'observation, à ses facultés naturelles et acquises, à son sang-froid dans les moments difficiles, à son intrépidité dans les circonstances périlleuses; et quand on relit aujourd'hui les pages réellement attachantes de cette longue odyssée, on comprend que ce style facile et chaleureux, qui court à l'abandon sans se mettre beaucoup en peine de la vérité de détail, ait séduit et fasciné ses contemporains. Il est certain que si l'on écarte de la relation ce qu'on est en droit d'y regarder comme tout à fait controuvé ou seulement suspect ou douteux, l'étendue en sera grandement réduite; mais ce qui en reste, dégagé de cet alliage impur, suffit encore pour maintenir le nom de Bruce à une place éminente parmi les explorateurs de l'Éthiopie.

Le premier voyageur qui, après Bruce, a ouvert pour l'Abyssinie l'ère des investigations sérieusement scientifiques, est Henri Salt. M. Salt a vu le pays à deux reprises, en 1805 et en

1809. Vingt-quatre ans plus tard, en 1833, un jeune naturaliste allemand, Eduard Rüppell, qui déjà s'était fait connaître par une excellente relation de la Nubie, voulut entreprendre une étude à la fois plus approfondie et plus générale de l'Abyssinie, au triple point de vue de l'histoire naturelle, de la géographie astronomique et des antiquités. Sous tous ces rapports, le voyage de M. Rüppell a été des plus fructueux.

Après M. Rüppell, jusqu'en l'année 1848 qui a vu l'Abyssinie se refermer en quelque sorte à l'Europe par suite des guerres intérieures qui l'ont agitée, chaque année vit se succéder de nouveaux explorateurs. Peu de pays ont été visités, dans un aussi court intervalle, par un pareil nombre de voyageurs savants, et ont été l'objet d'une suite aussi remarquable de travaux approfondis et d'excellentes publications. Il suffit de mentionner, en suivant l'ordre des dates, les noms de Rochet d'Héricourt, de Théophile Lefebvre, de MM. Ferret et Galinier, de Charle Beke, de William Harris, du P. Sapeto, des deux missionnaires protestants Krapf et Isenberg, des deux frères Antoine et Arnauld d'Abbadie, et enfin, le dernier de tous, de M. de Heuglin. Il est difficile d'établir une ligne de distinction entre des voyageurs qui tous se distinguent par des mérites éminents; mais si l'Angleterre et l'Allemagne ont droit d'être fières des travaux de M. Beke et de M. de Heuglin, la France a pour elle les noms de Théophile Lefebvre, de Ferret et Galinier et de MM. d'Abbadie. M. Antoine d'Abbadie, secondé par son frère Arnauld, n'a pas consacré moins de dix années, de 1838 à 1848, à une exploration que la persévérance des études physiques, astronomiques et philologiques, non moins que l'étendue et la direction des lignes parcourues, mettent incontestablement au rang des plus remarquables de notre époque.

Ceux qui voudront entrer plus à fond dans la connaissance de l'Abyssinie peuvent recourir, pour l'histoire, au précis que Bruce a tiré des chroniques du pays, et qui font partie de sa relation. Il faut en rapprocher les études nouvelles de Salt, dans ses deux relations, le résumé et les additions du docteur Rüppell, au t. II de sa relation allemande (p. 335-403), et le mémoire de M. Dillmann, au t. VII, 1853, du Journal de la société orientale d'Allemagne. Pour la géographie, les ressources territoriales, l'ethnographie et l'archéologie, les relations particulièrement importantes sont les suivantes : Fr. Alvarez, Viaggio nella Ethiopia (1520-26), au t. I de la collection de Ramusio; Jer. Lobo, Relat. hist. d'Abyss. Paris, 1728, in-4°; Ludolf, Hist. Ethiopica,

avec le commentaire, 1681-1691. 2 vol. in-fo; Bruce, Travels (1771-73), Lond. 1804, 7 vol. in-8° et atlas. C'est la meilleure édit. Il y a une trad. franç. Salt, premier voyage (1805), dans les Voyages and Travels du vicomte Valentia, Lond, 1809, in-4o; il y a une trad. franç. à part. Du même, Voyage to Abyssinia (1809), Lond., 1814, in-4°. C'est le sec. voy. Trad. franç., 2 vol. in-8°. The Life and adventures of Nathan. Pearce (1810-19). Lond., 1831, 2. vol. in-8°, intéressant pour la connaissance de la vie intime des Abyssins. Rüppell, Reise in Abyssinien (183334), Francf. 1838, 2 vol. in-8° et atlas; Rochet d'Héricourt, Voyage à la côte orient. de la mer Rouge, dans le pays d'Adel et le royaume de Choa (1834), Paris, 1834, in-8°; du même, Second voyage sur les deux rives de la mer Rouge, etc. (1842-44), 1846, in-8°; Isenberg and Krapf, Journals (1839-42). Lond., 1843, in-8°; Isenberg, Abessinien, Bonn, 1844, 2 vol. in-12; Th. Lefebvre, Voyage en Abyssinie (1839-43), Paris, 1846, 3 vol. in-8°; Ferret et Galinier, Voyage en Abyss. (1840-42), Paris, 1847, 3 vol. in-8o; Beke, Travels and Researches (1840-42), publiés par mémoires séparés dans divers journaux savants d'Angleterre, et en particulier dans le journ. de la soc. de Géogr. de Londres, vol. X, 1840, XII, 1842, et XIV, 1844; Harris, The highlands of Ethiopia (1841), Lond., 1844, 3 vol. in-8°; Heuglin, Reisen in nord-ost-Africa (1855), Gotha, 1857, in-8°. M. Ant. d'Abbadie a publié dans les journaux littéraires de Londres et de Paris un très-grand nombre de lettres, de notices, de mémoires, etc., mais jusqu'à présent pas de relation d'ensemble, sauf un grand travail, encore inachevé, qui a pour titre : Géodésie d'une partie de la haute Éthiopie, in-4o.

S 3. M. Antoine d'Abbadie et ses travaux topographiques en Abyssinie. La triangulation expéditive.

Nous venons de prononcer le nom de M. Antoine d'Abbadie; ce savant voyageur poursuit avec une rare conscience d'élaboration, mais beaucoup trop lentement au gré des amis de la géographie africaine, la publication des vastes matériaux qu'il a rapportés de ses dix années de laborieuses explorations. En présentant à l'Académie des sciences, dans la séance du 28 janvier 1867, une nouvelle feuille de sa

carte d'Abyssinie (ci-dessus, no 13), M. d'Abbadie a accompagné cette présentation de la note suivante :

L'intérêt de cette carte se concentre dans le Simen (ou Sémèn), massif trappique entremêlé de vastes précipices et montrant des colonnes de basalte en plusieurs points de sa base. Le faite de ce massif est le mont Ras-Dajan (ou Râs-Dejem), qui a une altitude de 4620 mètres, inférieure de 200 mètres au mont Blanc. Ce point est le plus élevé qu'aucun voyageur européen ait encore atteint en Afrique. Vu sa basse latitude (13°14'), la neige y séjourne rarement au delà de deux ou trois jours, et les rochers du sommet en étaient entièrement dépourvus quand je les ai visités le 15 mai 1848. Les pentes de ce massif sont si abruptes, que près de Durgé, sur la route des caravanes, on s'élève de 800 mètres sur une distance de 3 kilomètres seulement. Près de là, sur les pentes du Buahit, plusieurs de nos compagnons ont péri de froid le 3 octobre 1844, tandis qu'au gué du Takkazé, à 55 kilomètres de là, et par une altitude de 936 mètres, la température était si élevée, qu'un thermomètre posé sur le sol n'accusait pas moins de 70 degrés.

Cette carte est la huitième que j'ai publiée sur l'Éthiopie. Deux autres cartes et une feuille d'assemblage compléteront l'ensemble des huit cents positions que j'ai déterminées, tant par la géodésie expéditive que par des détails de route et des croquis recueillis sur place.

M. d'Abbadie ajoute :

Je compte publier ensuite une carte générale de l'Éthiopie, où je rattacherai à ma série de positions, les travaux des autres explorateurs européens, et où je tirerai parti des voyageurs indigènes, tout en publiant textuellement les nombreux renseignements qu'ils m'ont fournis sur des contrées voisines jusqu'ici inconnues à nos géographes.

Les procédés pratiques que M. d'Abbadie, dans le cours de ses voyages en Abyssinie, a employés pour déterminer les bases de la carte du pays, ont pris dans la science une importance considérable, sous le nom de géodésie expéditive. M. Radau, dans un article étudié tel que la Revue des

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