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de l'eau-de-vie; le second est le commerce des femmes sauvages avec les François, qui sont tous deux aussy publics l'un que l'autre, sans que nous puissions y remédier, pour n'estre pas appuyez des commandans qui, bien loin de les vouloir empêcher par les remontrances que nous leur faisons, les exercent eux-mêmes avec plus de liberté que leurs inférieurs, et les autorisent tellement par leur exemple qu'en le regardant on s'en fait une permission générale et une assurance d'impunité qui les rend communs à tout ce qui vient icy de François en traitte, de sorte que tous les villages de nos Sauvages ne sont plus que des cabarets pour l'ivrognerie et des Sodomes pour l'impureté, d'où il faut que nous nous retirions, les abandonnant à la juste colère de Dieu et à ses vengeances.

Vous voyez par là que, de quelque manière qu'on établisse le commerce François avec les Sauvages, si l'on veut nous retenir parmi eux, nous y conserver et nous y soutenir en qualité de missionnaires dans le libre exercice de nos fonctions avec espérance d'y faire du fruit, il faut nous délivrer des commandans et de leur garnisons qui, bien loin d'estre nécessaires, sont au contraire si pernicieuses que nous pouvons dire avec vérité qu'elles sont le plus grand mal de nos missions, ne servant qu'à nuire à la traitte ordinaire des voyageurs et à l'avancement de la Foy. Depuis qu'elles sont venues icy haut, nous n'y avons plus veu que corruption universelle qu'elles ont répandues par leur vie scandaleuse dans tous les esprits de ces nations qui en sont présentement infectées. Tout le service prétendu qu'on veut faire croire au Roy qu'elles rendent se réduit à quatre principales occupations dont nous vous prions instamment de vouloir bien informer le Roy.

La première est de tenir un cabaret public d'eau-de-vie où ils la traittent continuellement aux Sauvages qui ne cessent point de s'enyvrer, quelques opositions que nous y

puissions faire. C'est en vain que nous leur parlons pour les arrêter; nous n'y gagnons rien que d'être accusez de nous oposer nous-mêmes au Service du Roy en voulant empêcher une traitte qui leur est permise.

La seconde occupation des soldats est d'estre envoyez d'un poste à l'autre par les Commandans, pour y porter leurs marchandises et leur eau-de-vie, après s'être accommodés ensemble, sans que les uns et les autres ayent d'autre soin que celuy de s'entr'ayder mutuellement dans leur commerce, et afin que cela s'exécute plus facilement des deux costez comme ils le souhaitent, ils faut que les commandans se ferment les yeux pour user de connivence et ne voir aucun des désordres de leur soldats, quelques visibles, publics et scandaleux qu'ils soient, et il faut réciproquement que les soldats, outre qu'ils traittent leurs propres marchandises, se fassent encore les traitteurs de celles de leurs Commandans qui souvent même les obligent d'en acheter d'eux pour leur permettre d'aller où ils veulent.

Leur troisième occupation est de faire de leur fort un lieu que j'ay honte d'apeler par son nom, où les femmes ont apris que leurs corps pouvoient tenir lieu de marchandises et qu'elles seroient mieux reçues que le castor, de sorte que c'est présentement le commerce le plus ordinaire, le plus continuel et le plus en vogue. Quelques efforts que puissent faire tous les missionnaires pour décrier et pour l'abolir, au lieu de diminuer, il augmente et se multiplie tous les jours. de plus en plus; tous les soldats tiennent table ouverte à touttes les femmes de leur connaissance dans leur maison; depuis le matin jusqu'au soir, elles y passent les journées entières, les unes après les autres, assises à leur feu et souvent sur leur lit dans des entretiens et des actions propre de leur commerce qui ne s'achève ordinairement que la nuit, la foule étant trop grande pendant la journée pour qu'ils puissent l'achever, quoyque souvent aussy ils s'entrelaissent

une maison vide de monde pour n'en pas différer l'achèvement jusqu'à la nuit.

La quatrième occupation des soldats est celle du jeu qui a lieu dans les tems où les traitteurs se rassemblent; il y va quelquefois à un tel point que n'étans pas contens d'y passer le jour, ils y passent encore la nuit entière, et il n'arrive même que trop souvent dans l'ardeur de l'aplication qu'ils ne se souviennent pas, ou s'ils s'en souviennent, qu'ils méprisent de garder les postes. Mais ce qui augmente en cela leur désordre, c'est qu'un attachement si opiniâtre au jeu n'est presque jamais sans une ivrognerie commune à tous les joueurs, et que l'ivrognerie est presque toujours suivie de querelles qui s'excitent entre eux lesquelles venant à paroître publiquement aux yeux des Sauvages, causent parmi eux trois grands scandales: le premier de les voir ivres, le second de les voir s'entrebatre avec fureur les uns contre les autres jusqu'à prendre des fusils en main pour s'entretuer, le troisième de voir que les Missionnaires n'y peuvent apporter aucun remède.

Voila, Monseigneur, les quatre seules ocupations des garnisons que l'on a tenues ici pendant tant d'années. Si ces sortes d'ocupations peuvent s'apeler le service du Roy, j'avoue qu'elles luy ont actuellement et toujours rendu quelqu'un de ces quatre services, mais je n'en ai point veu d'autres que ces quatre-là; et par conséquent, si on ne juge pas que ce soit là des services nécessaires au Roy, il n'y a point eu jusqu'à présent de nécessité de les tenir icy, et après leur rapel, il n'y en aura point de les y rétablir.

Cependant comme cette nécessité prétendue des Garnisons est l'unique pretexte que l'on prend pour y envoyer des Commandans, nous vous prions, Monseigneur, d'être bien persuadé de la fausseté de ce prétexte, afin que, sous ces spécieuses aparences du service du Roy, on ne se fasse pas une obligation d'en envoyer, puisque les Commandans ne

viennent icy que pour y faire la traitte de concert avec leurs soldats sans se mettre en peine de tout le reste. Ils n'ont de liaison avec les Missionnaires que par les endroits où ils les croient utiles pour leur temporel, et hors de là ils leur sont contraires dès qu'ils veulent s'opposer au désordre qui, ne s'accordant ny avec le service de Dieu ny avec le service du Roy, ne laisse pas d'être avantageux à leur commerce, au quel il n'est rien qu'ils ne sacrifient. C'est là l'unique cause qui a mis le déréglement dans nos Missions, et qui les a tellement désolées par l'ascendant que les Commandans ont pris sur les Missionnaires en s'attirant toute l'autorité soit à l'égard des François, soit à l'égard des Sauvages, que nous n'avons pas d'autre pouvoir que celui d'y travailler inutilement sous leur domination qui s'est élevée jusqu'à nous pour nous faire des crimes civils et des accusations prétendues juridiques des propres fonctions de notre état et de notre devoir, comme l'a toujours fait Monsieur de la Motte qui ne voulait pas même que nous nous servissions du mot de désordre et qui intente en effet procez au père Pinet pour s'en être servi.

Vous voyez, Monseigneur, que je me suis beaucoup étendu sur les articles des Commandans et des garnisons pour vous faire comprendre que c'est là qu'est venu tout le malheur de nos Missions. Ce sont les Commandans, ce sont les garnisons, qui, se joignant avec les traitteurs d'eau-de-vie les ont entièrement désolées par l'ivrognerie et par une impudicité presque universelle que l'on y a établie par une continuelle impunité de l'une et de l'autre, que les puissances civiles ne tolèrent pas seulement, mais qu'elles permettent, puisque les pouvant empêcher, elles ne les empêchent pas. Je ne crains donc point de vous déclarer que si l'on remet icy haut dans nos missions des Commandans traitteurs et des garnisons de soldats traitteurs, nous ne doutons point que nous ne soyons contraints de les

quitter, n'y pouvant rien faire pour le salut des âmes. C'est à vous d'informer Sa Majesté de l'extrémité où l'on nous réduit et de luy demander pour nous notre délivrance, afin que nous puissions travailler à l'établissement de la Religion sans ces empêchemens qui l'ont arrêté jusqu'à présent.

J.

THE GOVERNMENT AND THE CLERGY.

MÉMOIRE DE TALON SUR L'ETAT PRÉSENT DU
CANADA, 1667.

(Extrait.) Archives de la Marine.

L'ECCLÉSIASTIQUE est composé d'un Evesque, ayant le tiltre de Pétrée, In partibus infidelium, et se servant du caractère et de l'autorité de Vicaire Apostolique.

Il a soubs [sous] luy neuf Prestres, et plusieurs clercs qui vivent en communauté quand ils sont près de lui dans son Séminaire, et séparément à la campagne quand ils y sont envoyez par voye de mission pour desservir les cures qui ne sont pas encore fondées. Il y a pareillement les Pères de la Compagnie de Jésus, au nombre de trente-cinq, la pluspart desquels sont employez aux Missions étrangères: ouvrage digne de leur zèle et de leur piété s'il est exempt du meslange de l'intérest dont on les dit susceptibles, par la traitte des pelleteries qu'on assure qu'ils font aux 8ta8aks [Outaouaks], et au Cap de la Magdelaine; ce que je ne sçay pas de science certaine.

La vie de ces Ecclésiastiques, par tout ce qui paroist au dehors, est fort réglée, et peut servir de bon exemple et

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