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INTRODUCTION

Que la personne, la vie, l'œuvre et le génie de Byron aient exercé une réelle influence sur la poésie française et sur notre littérature en général pendant la période de romantisme ascendant ou déclinant qui va de 1815 environ à 1850, c'est ce qu'il suffit pour ne pas ignorer d'avoir seulement feuilleté les œuvres glorieuses ou obscures, éphémères ou durables, où l'esprit de ce temps a marqué son empreinte. Des deux grandes générations romantiques, celle qui, de 1820 à 1825, a fondé l'école nouvelle, et celle qui, en 1830 et après, a consacré de son adhésion le fait accompli et tiré des principes posés leurs extrêmes conséquences, ni la première ni la seconde n'ont marchandé leur admiration à l'auteur de Childe Harold, de Lara, de Manfred et de Don Juan. Si elles n'ont pas regardé l'homme tout à fait sous le même angle ni envisagé l'œuvre par la même face, elles n'ont pas varié dans l'hommage rendu au poète qui incarnait à leurs yeux éblouis le génie révolutionnaire et créateur du XIXe siècle. Les écrivains les plus divers, les plus distants les uns des autres par les idées, par le caractère et par le talent, se sont rencontrés dans la célébration de ce culte commun. Tous, de Lamartine à Théophile Gautier, de Stendhal à Alfred de Musset, de Vigny à Théodore de Banville, d'Alexandre Dumas à George Sand, quand ils n'ont pas imité les attitudes de l'illustre Anglais, copié ses tirades, accueilli ses inspirations, ont du

moins proclamé unanimement, comme une vérité d'évidence, sa royauté littéraire.

Leur témoignage est confirmé par celui des critiques contemporains. Ouvrez le Conservateur littéraire ou la Minerve, la Revue encyclopédique ou la Muse française, les Annales de la littérature et des arts ou le Mercure du XIXe siècle, la Revue des Deux Mondes ou la Revue de Paris, vous verrez la curiosité s'éveiller sur l'œuvre de Byron, et tout aussitôt des discussions passionnées s'engager autour d'elle. Cette poésie étrange est le type auquel on rapporte à tout instant les productions des auteurs nouveaux, pour leur faire un honneur de s'en être approchées, ou un crime de l'avoir reproduit. Les écrivains les plus en vue de la littérature militante, Viennet, Thiessé, Philarète Chasles, Villemain, Nisard, Janin, Sainte-Beuve, Gustave Planche, retrouvent constamment et comme malgré eux sous leur plume le nom de Byron : ils ont plus d'une fois consacré au poète des articles entiers. Puis le romantisme victorieux s'ensevelit dans son triomphe; les querelles s'éteignent peu à peu. Byron passe insensiblement de l'actualité à l'immortalité, et son œuvre, sortant du champ où bataillent les polémistes, entre dans le paisible domaine des historiens de la littérature.

Il appartenait à ceux-ci d'apprécier la portée de l'influence byronienne, et d'en enregistrer, heureux ou malheureux, les résultats. On s'était de bonne heure préoccupé de faire de cette question un examen spécial. Dès 1833, la Revue anglo-française publiait, sous la signature d'Adolphe Mazure, alors professeur de philosophie au collège royal de Poitiers, une Etude morale sur lord Byron et sur son influence à l'égard de la littérature contemporaine en France. L'auteur jugeait sévèrement la poésie byronienne; mais on ne pouvait lui reprocher de diminuer l'action exercée par le poète sur la littérature de son temps. « C'est lui, disait-il, qui a donné le mouvement et l'impulsion à toute la poésie de notre siècle; elle relève de Byron, elle vit tout entière en son génie. Si, en effet, il s'est

élevé parmi nous une école jeune et puissante, impatiente d'avenir, féconde en images, riche d'une abondance de pensées que les grands événements contemporains avaient mûries pour la moisson du poète, il faut attribuer à lord Byron une grande part dans ce progrès véritable en matière d'art et de poésie, car c'est lui surtout qui a enseigné à chercher des effets nouveaux loin des sentiers d'une littérature que les traditions frivoles du XVIIe siècle avaient achevé d'épuiser1. » Ce n'était évidemment que dans la seconde moitié du XIXe siècle que l'on pouvait traiter le sujet dans toute son étendue et avec la modération désirable. Encore n'est-on pas arrivé du premier coup à l'impartialité. A la superstition des littératures étrangères avait succédé, vers 1850, un dédain injustifié à leur égard. Après avoir crié sur tous les tons que les Anglais et les Allemands avaient fait le romantisme français, on commençait à penser et à dire qu'ils n'y avaient été pour rien. En refusant d'admettre « que la littérature romantique en masse, prose et vers, art et langue, romans, drames et odes, procédât de l'Angleterre et de l'Allemagne », Granier de Cassagnac parlait le simple bon sens; mais en déclarant « parfaitement déraisonnable et impossible » que « les Méditations poétiques vinssent d'ailleurs que de M. de Lamartine, Notre-Dame, les Chants du crépuscule et le Roi s'amuse d'ailleurs que de M. Victor Hugo, Antony d'ailleurs que de M. Dumas », il ne faisait qu'embrouiller par ses affirmations intempérantes une question qui ne pouvait être résolue que par discernement et mesure. En 1863, SainteBeuve, invoquant à l'appui de son dire la familiarité où il avait vécu dans les premières années du romantisme avec les talents et les génies de l'école naissante, déclarait que « les imitations de littérature étrangère, et particulièrement de l'Allemagne, étaient moins voisines de leur pensée qu'on ne le

1. Revue anglo-française, Poitiers, 1833, t. I, p. 208.

2. Portraits littéraires, Paris, 1852: article consacré à Chateaubriand,

supposerait à distance; que ces talents étaient éclos et inspirés d'eux-mêmes, et sortaient bien en droite ligne du mouvement français inauguré par Chateaubriand ». Il insinuait que les lectures de ces jeunes gens avaient été bien moins nombreuses et leurs bibliothèques bien moins garnies qu'on ne se l'imaginait ; qu'aucun d'entre eux ne savait l'allemand; que Victor Hugo connaissait surtout l'Espagne « par ses hauts et graves souvenirs d'enfance » ; que Lamartine << lisait Byron bien moins dans le texte anglais que dans son âme »; que lui-même, « tout en professant et même en affichant l'imitation des poètes anglais et des lakistes », les avait « devinés comme parents et comme frères aînés, bien plutôt que connus d'abord et étudiés de près ». Il prétendait <«maintenir au milieu des imitations apparentes et des influences plus ou moins directes... l'originalité bien native pourtant de ses anciens amis, la veine naturelle et propre à cette famille romantique française qui a et gardera sa physionomie entre les autres écoles ». On sait combien Sainte-Beuve a été de tous temps chatouilleux sur le point de son originalité poétique. Ce plaidoyer pour ses confrères était surtout un plaidoyer pro domo.

1. Lettre-préface, datée du 2 novembre 1863, au volume de W. Reymond, Corneille, Shakespeare et Goethe, étude sur l'influence anglo-germanique en France au XIXe siècle, Berlin, 1864; recueillie au t. IV des Nouveaux Lundis, pp. 452 et suiv. Reymond était beaucoup plus affirmatif que Sainte-Beuve sur l'influence exercée chez nous par les littératures étrangères au début du XIXe siècle. « Tandis que Goethe et W. Scott exerçaient sur les romanciers une influence profonde, les poètes s'inspirèrent des poésies d'Ossian et de cette école britannique des lacs, qui elle-même venait de puiser aux sources du panthéisme allemand. Le poète anglais qui donna surtout le ton à cette époque et jeta la muse française, jusqu'alors si sage et si mesurée, dans la poésie orageuse et dans les vagues souffrances analogues à celles du roman, ce fut Byron. C'est à lui et aux poèmes d'Ossian que Lamartine, Alfred de Musset, Alfred de Vigny, rattachaient leur inspiration, tandis que Victor Hugo, Soumet, Edgar Quinet, Chênedollé, Millevoye, se rapprochaient davantage de la poésie allemande. » (Ouvrage cité, p. 152.)

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