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cheikh s'étant pris à gourmander l'enfant, celui-ci fendit l'espace avec la main, la terre s'entr'ouvrit, des vagues en sortirent, et le sol s'enfonça sous les pieds du cheikh. Mohammed fit observer à son fils qu'il n'était pas convenable d'afficher une telle supériorité en rendant visite à quelqu'un. L'enfant alors partagea de nouveau l'espace, et la terre reprit sa forme première.

Un autre miracle fut pour Abd-el-Kader l'occasion de changer de nom. Il avait pour homonyme le fameux Abd-el-Kader-elDjilani, le prince des élus, le plus grand saint de l'islamisme. Né dans le Djilân, il dut à son pays natal son surnom. Sa tombe est à Bagdad. C'est en la visitant, dit-on, qu'un autre Abd-elKader, le fils de Mohieddin, reçut la révélation de sa destinée future. Il est le fondateur d'un ordre religieux répandu surtout dans la province d'Oran; les mendiants associent son nom à celui de Dieu quand ils implorent l'assistance des passants; ce sont enfin ses monuments que l'on rencontre presque à chaque pas dans l'ouest de l'Algérie.

Un jour, une femme, appuyée sur la margelle d'un puits, y laissa tomber son enfant. Éplorée, elle invoque aussitôt les saints et s'écrie « Abd-el-Kader! Abd-el-Kader! » A l'instant, Abd-elKader, le Saharien, traverse la terre, saisit l'enfant au moment où il allait lomber dans l'eau et le remet à sa mère. Il rapporta même, dit la légende, le turban d'un Arabe qui l'avait laissé tomber en se penchant sur le puits. Mais cet appel s'était fait entendre jusqu'à Bagdad. Le Djilani avait fendu les terres et les mers ayant un plus long espace à parcourir, il arriva trop tard; l'enfant était sauvé. « Qui m'appelle? s'écria-t-il; que me veut cette femme?» L'autre Abd-el-Kader lui raconta le fait. « Je suis plus grand saint que toi, lui dit le Djilani, et je ne veux plus qu'à l'avenir on nous confonde. Tu cesseras de t'appeler Abd-elKader; tu t'appelleras désormais Sidi-Chikh. >>

Les miracles d'Abd-el-Kader lui firent des envieux. Ses proches eux-mêmes voulurent attenter à ses jours. C'était près du col de Ziahr, entre l'Abiod et l'Arba. Pour leur échapper, il se plongea dans la terre et ne reparut que deux lieues plus loin, à l'endroit où s'élève aujourd'hui son tombeau. Ce qu'il y a de plus extraordinaire, c'est que, pendant sa course souterraine, sa monture l'avait suivi à la piste. On montre encore, près de la route de l'Arba à l'Abiod, une dépression du sol, celle-là même par laquelle entra Sidi-Chikh.

Un jour, il s'en alla dans le Tell, jusque chez les Trara. A son arrivée, il pria les habitants de faire boire sa monture. Ils lui répondirent qu'il n'y avait plus d'eau. « Eh bien ! laissez-la faire, »

dit-il. La bête gravit la montagne; parvenue au sommet, elle frappa la terre du pied, et une source en jaillit, qui n'a pas cessé de couler.

Sidi-Chikh donnait beaucoup de temps à la prière et à la contemplation. Pour s'y livrer plus librement, il se retirait dans des cellules creusées sous terre, dont le nombre s'éleva jusqu'à cent vingt. La dernière qu'il habita était au pays d'Antar; il y resta cinq ans, cinq mois, cinq jours et cinq heures. Ses austérités rappellent celles des anciens habitants de la Thébaïde. Afin de consacrer moins de temps au sommeil et davantage à la prière, il attachait le bout d'une corde à sa touffe de cheveux et en fixait l'autre au faîte de sa cellule, pour qu'au moindre mouvement il s'éveillât et pût renouveler plus fréquemment ses entretiens avec Dieu.

Sidi-Chikh est le fondateur d'un ordre religieux, qui a échappé à M. Deneveu, par la raison qu'il ne s'étend guère au-delà des ksours voisins. Cet ordre n'exclut pas ceux dont l'islamisme est redevable à Moulay Tageb, à Tedjim-ed-Abdel-Kader.

Se sentant près de passer dans l'autre monde, il recommande de le charger après sa mort sur sa mule blanche et de la laisser aller. A la première pause qu'elle ferait, on devait descendre son corps et le laver; à la seconde, l'enterrer en ce lieu même. La scène se passait à Rassoul, et les volontés du mourant furent exécutées. La mule s'arrêta une première fois et on lava le corps du défunt à la fontaine qui porte encore le nom d'Aïnel-Méracil, ou Fontaine de la Lotion. La seconde fois elle fit halte, au ksar de l'Abiod, près du ksar Ech-Chergui, dont Sidi-Chikh avait été le fondateur, là où s'élève aujourd'hui le monument vénéré du saint homme.

Telle est la légende merveilleuse, œuvre d'une population superstitieuse, intéressée à vanter le saint à l'ombre duquel elle prospère. Voyons la tradition désintéressée:

Le Marocain El-Aïachi, se rendant à la Mekke, dans la seconde moitié du dix-septième siècle de notre ère, traversa le pays illustré par Sidi-Chikh. Ce qu'il en rapporte nous paraît suffisant pour rendre à notre saint personnage sa véritable figure historique. On lit sous la rubrique d'El-Koleïa, étape intermédiaire entre l'oasis des B.-M'zab et le Gourara, vers laquelle paraissent tendre nos explorations :

« El-Koleïa a été habité par le cheikh El-Hadj-Sidi-Abouhafs, fils du ouali (saint) du saleh (juste) Sid-Abdel-Kader-ben-Mohammed-ben-Sliman-ben-Bou-Smaha, marabout, qui est connu dans le pays sous le nom de Sidi-Chikh, nom par lequel ses enfants

sont encore désignés. Ce saint personnage a eu beaucoup d'influence dans le Tell, ainsi que dans le Sahara, et son fils en a encore plus que lui. Ce dernier (Abouhafs) est un homme intelligent, vertueux, qui a passé presque toute sa vie en pèlerinages jusqu'en 1071 (1661), époque de sa mort. Il a été enterré auprès de son père, dans le cimetière particulier de leur famille, que l'on appelle El-Abiod et qui est près de Bou-Semroun 1. »

La sainteté et le don des miracles ne s'éteignirent pas avec SidiChikh: ils persistèrent dans sa descendance.

Mais nous n'avons pas encore épuisé les légendes merveilleuses.
Sidi Chikh fut père de six enfants, à savoir:
Sidi-Mohammed-Abd-Allah.

Sidi-El-Hadj-Abdel-Hakem.
Sidi-El-Hadj-Bouhafs.
Sidi-ben-Eddin.

Sidi-El-Hadj-ben-ech-Cheikh.
Sidi Abder-Rahman.

Nous allons mentionner les faits que la tradition nous a conservés à leur égard.

Au dire d'El-Aïachi, Sidi-El-Hadj-Bouhafs, dont le nom se prononce dans le pays Bouhaous, fut le principal héritier de l'influence de son père. Il ajoute qu'Abouhafs passa une grande partie de son existence en pèlerinages. En effet, les traditions locales rapportent qu'il fit jusqu'à trente-trois fois celui de la Mekke. A la dernière, il y mourut, et on l'y enterra. Cependant son père lui apparut et lui dit : « Si tu veux entrer pour un tiers dans les frais de la mosquée qui se construit à l'Abiod, je prierai Dieu qu'il te rende à la vie et à ton pays natal. » Abouhafs accepta. Dans le cours de son voyage, il ne mangea ni ne but. Arrivé à l'Abiod, il y mourut derechef et y fut définitivement enterré.

Sidi-Mohammed-Abd-Allah se vit un jour menacé par une partie des Zenakha. Le fils de Sidi-Chikh implora le secours du ciel des vagues sortirent de terre et engloutirent les méchants; les bons furent conservés sur ces buttes qui surgirent de terre et qui se voient encore.

Sidi-Abdel-Hakem était un jour instamment pressé par son frère Abouhafs de se fixer définitivement à l'Abiod. Sur son refus, Abouhafs l'enchaîna sur un chameau. Cependant, Abdel-Hakem avait prié Dieu tout à coup ses chaînes tombent, il s'élève dans l'air au-dessus de sa monture, et continue sa marche aérienne

1 Traduction de M. Berbrugger.

jusqu'à ce que son frère lui ayant promis de ne plus le contraindre, il juge à propos de descendre à terre.

Faut-il s'étonner, après tant de miracles et bien d'autres encore, dont un petit nombre d'esprits forts parmi les Arabes osent à peine douter, que les descendants de Sidi-Chikh soient encore aujourd'hui l'objet de tant de vénération? De tous les ksours environnants, du Gourara même, on vient en pèlerinage à la tombe de Sidi-Chikh, cet ouali, ce saint, cet élu de Dieu, que le ciel combla de ses grâces et de ses marques extérieures de sainteté. De riches offrandes y sont constamment apportées, de nature diverse, suivant les produits de chaque contrée. La famille du saint homme, son chef en particulier, est considérée comme le dépositaire des grâces, ou barakat, inaliénables que Dieu a conférées à la race. C'est aujourd'hui entre les mains de Sidi-Hamza que sont deposees ces faveurs celestes, c'est lui qui en recueille le bénéfice. Quand il traverse les populations arabes, on s'empresse autour de lui, on s'incline, on cherche a toucher le pan de sa robe; il étend les mains, et chacun croit emporter les bénédictions du ciel. En l'absence de son père, le jeune Abou-Bekr jouit des mêmes honneurs et de la même vénération. Les fidèles catholiques ne sont pas plus empressés autour d'un évêque ou d'un pape.

L. LECLERC,

Membre de la Société orientale, chirurgien militaire, à Mascara.

1 Les faits relatifs à la famille de Sidi-Chikh sont le fruit de nos informations personnelles et de celles qui ont été faites par ordre de M. Burin, chef du bureau arabe de Gergville. Nous avons traduit avec soin ces dernières qui avaient été recueillies par un caïd des environs.

COLONIES.

NOTICE SUR NOUKA-HIVA

DANS SES RAPPORTS AVEC LES AUTRES ILES DE L'OCÉANIE 2.

DE LA LANGUE POLYNÉSIENNE, EN GÉNÉRAL. DE SON ANTIQUITÉ. -DE IA DIVISION DES LANGUES OCÉANIENNES.

Le célèbre Dumont d'Urville a désigné sous le nom général de Polynésie, toutes les îles dans lesquelles s'observe la défense re

Voir les numéros d'avril et de mai, pages 336 et 408.

ligieuse du Tapou et se pratique l'usage du kava, liqueur enivrante que les naturels préparent en mâchant les racines du piper methysticum. Pour certaines parties de la terre, ce mode de délimitation géographique par la considération des usages, pourrait donner lieu à de grandes difficultés, mais il s'applique trèsbien en Océanie, où il réunit des peuples qui quoique séparés par de grands intervalles de mer - paraissent appartenir à la même race, ont les mêmes mœurs, et parlent différents dialectes d'une même langue, connue sous le nom collectif de LANGUE POLYNÉSIENNE 1. Ce dernier fait a été mis hors de doute par le remarquable travail de M. Gaussin 2.

Que la Polynésie ait été peuplée par les Dayak de BORNEO, ou par les Touradja de CÉLÉBĖS, toujours est-il que cette langue, très-anciennement parlée par les peuplades originaires, s'est modifiée en différents sens pour s'approprier à la flexibilité des organes et au caractère des insulaires de chaque localité. Il ressort même de nos études que le polynésien, grammaticalement ou lexiologiquement plus développé dans certaines iles, conservant dans d'autres des traces d'une organisation plus riche et plus complexe, aurait maintenant ou aurait eu déjà, selon les lieux, une période de perfectionnement et une période de décadence. A ce point de vue, l'ensemble des langues polynésiennes nous présenterait, dans la série de ses dialectes, l'image d'une famille d'organismes de même constitution et de différents âges, et serait peut-être, sous le rapport du mode de production de la pensée

Du Dialecte de Tahiti et des îles Marquises et en général de la langue polynésienne, Paris, 1855, in-8.

* Ici se présente une question importante pour la méthode qu'on doit suivré en linguistique: La langue polynésienne générale est-elle effectivement une réalité ou n'est-elle qu'une hypothèse, un type idéal de comparaison propre ȧ grouper les analogies et à faire ressortir les différences? En d'autres termes, le linguiste doit-il ne s'attacher toujours qu'au fait existant ou doit-il induire, idéaliser? S'il a de la philosophie, il réunira ces deux manières. Idéaliste pour la recherche des lois du langage qui, ayant été produites par l'entendement, ne peuvent être comprises et appréciées que par lui, le linguiste deviendra observateur, s'il s'agit d'apprécier les phénomènes isolément et en euxmêmes. Il résulte de ce précepte que quand même le polynésien ne serait conçu ou restitué qu'à titre d'hypothèse, la production de cette hypothèse ingénieuse constituerait, en philosophie linguistique, un progrès analogue à celui que les Allemands ont fait faire aux sciences naturelles en y introduisant pour la chimie la théorie des radicaux fictifs, et celle de la vertèbre génératrice de toutes les parties du squelette, en anatomie comparée. Seulement cette hypothèse, indéfiniment perfectionnable, resterait susceptible de recevoir tous les changements qui permettraient de ramener à une plus grande simplicité ou de faire des rapprochements plus nombreux. C. L.

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