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d'assises, ou s'il convient de charger de cette appréciation le jury et la cour.

Le premier de ces deux systèmes a trouvé plusieurs défenseurs en France; il est permis de croire qu'il en trouvera également en Belgique. Attribuer au jury une part dans l'appréciation des circonstances atténuantes, a-t-on dit, serait contraire à la distinction entre le fait, ou la déclaration de l'existence du crime, et le droit, ou l'application de la peine. L'appréciation de ces circonstances ayant une influence nécessaire sur la fixation de la peine, elle rentre naturellement dans les attributions de la cour et le jury

doit y être étranger.

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Cet argument n'est pas fondé : le fait sur lequel le jury a mission de prononcer, n'est pas uniquement l'acte principal et matériel, c'est l'existence du crime tel qu'il a été commis, avec toutes les circonstances qui l'ont précédé, accompagné ou suivi; le droit est l'application de la peine pondérée et mesurée suivant les circonstances constatées par la déclaration du jury. Ainsi, le jury doit vérifier l'existence du crime et de toutes les circonstances qui peuvent influer sur la fixation de la peine; la cour doit évaluer l'importance, la gravité relative de ces circonstances, pour trouver la juste mesure de la punition. D'après cette distinction qui est toute rationnelle, il appartient également au jury de déclarer l'existence des circonstances atténuantes, puisqu'elles font partie du fait à juger et modifient les crimes. Le jury vérifie ces circonstances; la cour les apprécie suivant leur importance, elle choisit entre le maximum et le minimum la peine qui convient, en descendant d'un degré dans l'échelle pénale; elle a même la faculté de descendre, si bon lui semble, de deux degrés. Ce pouvoir discrétionnaire est trèsétendu, et les attributions de la cour s'accroissent en même temps que celles du jury.

La distinction entre le fait et le droit, entre les attri

tributions du jury et celles de la cour, telle que nous l'avons établie, est également consacrée par le Code d'instruction criminelle. Le jury doit prononcer sur l'existence du crime et de toutes les circonstances comprises dans le résumé de l'acte d'accusation. S'il résulte des débats une ou plusieurs circonstances aggravantes, non mentionnées dans cet acte, le jury est interrogé sur ces circonstances (art. 337 et 338 C. cr.). Il y a plus: lorsque l'accusé a proposé pour excuse un fait admis comme tel par la loi, on pose au jury la question de savoir si le fait est constant. (art. 339, 340).

Or, qu'est-ce qu'une excuse? c'est une circonstance atténuante spécialement définie par la loi. Pourquoi donc le jury aurait-il le droit de vérifier les excuses, sans avoir celui de déclarer les autres circonstances atténuantes non définies par la loi? On ne pourrait alléguer aucun motif raisonnable pour justifier une pareille distinction. Il est vrai que le jury interrogé sur une excuse proposée par l'accusé, doit vérifier et déclarer un fait déterminé, tandis que la déclaration des circonstances atténuantes ne porte pas sur tel ou tel fait particulier. Mais si la loi est à même de définir, sous le nom d'excuses, les circonstances atténuantes les plus générales et les plus importantes, elle ne peut prévoir ni fixer toutes les autres, qui sont par leur nature illimitées et indéfinissables. La déclaration du jury, quant à ces dernières, doit donc être générale et résulter de l'impression qui aura été produite sur le jury par l'ensemble des débats.

Si l'appréciation des circonstances atténuantes était dévolue à la cour seule, la loi n'atteindrait qu'en partie le but qu'elle doit se proposer. En effet, l'expérience prouve qu'en Belgique, comme en Angleterre et en France, les jurés transigent souvent avec leur conscience, pour soustraire le coupable à des peines réprouvées par la justice et l'humanité. Qu'on donne à ce système le nom qu'on voudra, qu'on l'appelle omnipotence ou pieux parjure, le résultat est toujours le même;

l'autorité de la loi pénale est anéantie, un arbitraire sans limite et sans règle est substitué à la volonté du législateur. Ce dangereux système devait être détruit dans ses racines mêmes, et tel était le but principal de la loi française adoptée par le projet.

L'intention du législateur n'était pas seulement d'accorder anx cours un pouvoir plus étendu, pour proportionner la peine au crime, c'était surtout d'enlever au jury tout motif de se parjurer, en lui attribuant l'initiative quant aux circonstances atténuantes et en donnant ainsi à sa conscience le droit de se produire tout entière. Ce dernier but serait évidemment manqué, si la cour seule était appelée à prononcer sur les circonstances atténuantes. Dans l'incertitude sur le point de savoir, si les circonstances atténuantes qui lui paraissent militer en faveur de l'accusé, seront accueillies par la cour, le jury aimera mieux nier la culpabilité de l'accusé, que de s'exposer au danger de le voir condamner à une peine trop sévère.

Ensuite, dans le système contraire, le pouvoir discrétionnaire des juges dans l'application de la peine serait trop étendu, et pour prévenir les dangereux effets d'une pareille latitude, la loi devrait ou spécialement définir les circonstances atténuantes, ou ne permettre au juge que de descendre d'un degré dans l'échelle pénale. Le premier moyen serait impraticable, puisque cette énumération serait nécessairement incomplète; le second resserrerait le pouvoir du juge dans des limites trop étroites.

Enfin, qu'on ne pense pas que dans le système que nous défendons, les juges deviendraient des machines mises en mouvement par les caprices du jury. Le rôle de juge sera d'arbitrer et de proportionner la peine suivant la déclaration du jury et dans des limites très-étendues; cette opération délicate et difficile exige trop de connaissances, pour pouvoir être considérée comme sans importance.

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Si le système des circonstances atténuantes, tel qu'il est organisé par le projet, présente de grands avantages et mérite incontestablement la préférence sur la théorie opposée, nous ne nous dissimulons cependant pas les conséquences funestes qui résulteraient de l'abus que le jury pourrait facilement faire de son pouvoir.

Si le jury se laisse entraîner par son penchant vers l'indulgence, la déclaration des circonstances atténuantes deviendra une formule habituelle; la peine de mort sera effacée du Code; les peines perpétuelles seront remplacées par des peines temporaires; toutes les peines seront diminuées d'un degré, et le système pénal tout entier sera bouleversé. Quelle belle occasion offerte aux défenseurs des accusés pour trouver partout des circonstances atténuantes et pour se déchaîner contre l'excessive sévérité de la loi!

Pour prévenir ce danger, le projet, d'accord avec la loi française du 28 avril 1832, exige la majorité de huit voix pour la déclaration des circonstances atténuantes. Ce remède est insuffisant. Quiconque connaît par expérience l'esprit de notre jury, sera convaincu d'avance, que les huit jurés qui auront eu le courage de prononcer la culpabilité de l'accusé, admettront d'autant plus facilement les circonstances atténuantes, et croiront avoir satisfait à leur serment, en déclarant l'accusé coupable. D'après l'organisation actuelle du jury, il est permis de prévoir une autre combinaison qui, malgré sa bizarrerie, n'a rien d'invraisemblable. Parmi les huit jurés qui ont jugé l'accusé coupable, il s'en trouvera facilement quatre disposés à admettre des circonstances atténuantes. Or, si les quatre jurés qui ont voté pour l'acquittement, quoiqu'il ne leur appartienne plus de se prononcer sur les circonstances atténuantes, viennent cependant se rallier aux quatre autres qui admettent ces circonstances, la majorité voulue par la loi existera.

Exiger l'unanimité des voix tant pour la condamnation que

pour

la déclaration des circonstances atténuantes, serait vouloir une chose absurde.

Le meilleur moyen de remédier à l'abus que le jury pourrait faire de son pouvoir étendu, le moyen dont l'emploi nous paraît un pressant besoin, consiste dans une réforme du jury. Au lieu d'appeler à ces fonctions difficiles les hommes de toutes les conditions, la loi ne devrait conférer ces fonctions qu'aux personnes des classes supérieures, dans lesquelles seules on trouvera l'instruction et l'expérience nécessaires.

Il nous reste à répondre à une dernière objection faite par les adversaires du système adopté par le projet. Voici le dilemme qu'ils posent : ou l'admission des circonstances atténuantes deviendra de style dans les déclarations du jury, et dès-lors le but de la loi sera manqué; ou les jurés n'useront de cette faculté qu'avec une certaine réserve, et il en résultera une inégalité immense, une déplorable incertitude dans les peines. En effet, quelle égalité, quelle certitude l'action répressive peut-elle offrir, quand dans chaque ville, à chaque session, à chaque affaire, suivant les dispositions personnelles et changeantes des jurés, le même crime peut être puni de peines toutes différentes (1)?

Il n'est pas difficile d'écarter cette objection. En effet, un jury, bien composé ne déclarera les circonstances atténuantes, que lorsque celles-ci existeront réellement, et alors on ne doit craindre ni l'admission habituelle de ces circonstances, ni une grande inégalité et une déplorable incertitude dans les peines. Une certaine inégalité dans la répression a toujours existé chez nous, comme partout ailleurs; elle est inévitable et elle existera toujours, que la loi charge le jury ou la cour de déclarer les circonstances atténuantes. C'est ainsi qu'en Belgique, de 1826 à 1829, la moyenne des

(1) M. Chauveau, Code Pénal Progressif, p. 35 et 36.

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