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Toutes ces villes royales, aussi bien que celles qui leur ont succédé, sont au bord même du fleuve ou dans son voisinage immédiat; la civilisation barmane, qui est d'origine brahmanique, mais que le bouddhisme a développée, s'est concentrée exclusivement dans cette grande vallée de l'Irâ– vadî, qui forme du nord au sud un sillon de 400 lieues dans toute la longueur du pays.

Après Promé, le siége de la royauté remonte de nouveau la vallée. C'est d'abord Pagan, la plus célèbre des anciennes cités barmanes, et aussi celle qui a gardé le plus longtemps son rang de capitale, près de douze cents ans, de l'an 107 de notre ère à l'an 1300; puis Panya, non loin d'Ava (de 1300 à 1330); puis Sagain, ou plus correctement Tchitkaïng, vis-à-vis d'Ava, sur la rive opposée du fleuve (de 1330 à 1364); puis enfin la ville d'Ava, qui est restée la capitale du royaume pendant quatre cent vingt ans (13641783), et qui est aussi la plus connue dans nos livres, parce que c'est elle que depuis le seizième siècle tous les voyageurs ont mentionnée. C'est de là aussi qu'en Europe le pays a été connu sous le nom de royaume d'Ava.

C'est surtout depuis la fin du dernier siècle que les changements de capitale ont été fréquents. En 1783, fondation d'une ville nouvelle, à trois heures seulement au-dessus d'Ava, sous le nom d'Amárapoura, « ville de l'Immortalité, » où le roi Mentàrâghi-prâ, quatrième fils du célèbre Alomprâ, transporte sa résidence. La population presque entière de la capitale abandonnée vient s'établir dans la cité nouvelle. En 1819, le roi Mentârâghi-prâ meurt, et son fils abandonne Amârapoura pour revenir à Ava, dont il fait relever le palais, en même temps que les rues désertes se repeuplent comme par enchantement.

En 1837, nouveau revirement; le frère du roi régnant s'empare du trône et revient à Amârapoura. Ava est encore une fois abandonnée, au point que la mission anglaise de 1855 la trouva presque entièrement vide d'habitants, et

qu'un voyageur plus récent, le docteur Bastian, la dépeint, en 1861, comme un parc envahi par une végétation inculte. Comme toutes les habitations se construisent en bambous, et tiennent, on peut dire, à peine au sol, une ville est aussi aisément abandonnée que promptement construite.

Nous voici au dernier changement, à celui qui a transplanté la cité royale à Mandalaï. Cette transplantation a eu lieu en 1859, presque immédiatement après le départ de la mission anglaise de 1855. Frappée par le souvenir néfaste de la guerre de 1852, qui a enlevé le Pégou aux Barmans pour le livrer à l'Angleterre, comme la guerre de 1824 leur avait fait perdre l'Arakan et le Ténassérim, et, pour comble de misère, souillée par la présence des étrangers qui étaient venus y dicter les dernières stipulations d'une paix ignominieuse, Amârapoura devenait une ville de malheur et de honte. Mandalaï, qui l'a remplacée, est une cité nouvelle. Ne la cherchez sur aucune carte, même les plus récentes : vous ne l'y trouverez pas. Elle s'élève sur deux éminences qui dominent une large plaine, à 2 ou 3 heures d'Amârapoura vers le nord-est, et à 2 heures du fleuve.

Le docteur Bastian, à qui nous devons ces détails, la trouva, à la fin de 1861, en pleine voie de construction. Amârapoura venait d'être abandonnée par une grande partie de la population, comme auparavant Ava avait été abandonnée pour Amârapoura. C'est quelque chose de bizarre que cette population flottante de plus de cent mille âmes, allant ainsi de place en place former le fonds d'une nouvelle capitale, selon le vent de la politique ou le caprice d'un despote.

§ 5. Une exploration scientifique de la péninsule indo-chinoise.
Le Dr Bastian. Le Pégou et le Barma.

Le nom du docteur Bastian est connu depuis longtemps du monde scientifique. De nombreux fragments en

voyés de l'extrême Asie en Europe, sur la géographie, l'ethnographie, les langues et les antiquités de populations et de contrées peu connues, fragments qui ont été publiés dans les recueils scientifiques de l'Allemagne et de l'Angleterre, faisaient attendre avec impatience la relation complète de ses courses savantes. On savait qu'après un voyage autour du monde, de 1851 à 1858, M. Bastian s'était arrêté aux parages orientaux du golfe du Bengale, se proposant de pousser ses investigations aussi avant que possible dans les parties intérieures de l'Indo-Chine, et que de 1861 à 1863 il avait en effet visité le Pégou, le Barmâ, Siam, le Kambodj et la Cochinchine. On savait encore qu'après cette longue investigation, le voyageur était revenu à Péking par le Grand Archipel et le Japon, et que de Péking il avait repris le chemin de l'Europe par la Mongolie, la Sibérie méridionale et le Caucase. Ce que promettait un pareil itinéraire, accompli par un observateur curieux et savant, on le pressent assez. Le docteur Bastian, aussitôt après son retour, annonça l'intention de publier, en cinq volumes, les résultats nombreux de ses études, le premier consacré à un tableau historique des peuples de l'Indo-Chine, les trois suivants à ses itinéraires, le dernier à un travail sur le bouddhisme sous les diverses formes qu'il a prises dans son expansion à travers l'Asie.

Les deux premiers volumes ont paru, et nous y trouvons la distribution annoncée. Le premier volume, sous le titre d'Histoire des nations indo-chinoises tirée des sources indigènes, traite, en quatre parties successives, du Barmâ, du Pégou, de Siam et du Kambodj, avec un chapitre supplémentaire pour l'Annam, et un appendice chronologique. Le second volume nous fait suivre le docteur Bastian de Rangoun à la nouvelle capitale ' du royaume bar

1. Nous en avons fait le relevé, ci-dessus, sous le n° 74 de notre bibliographie.

2. Voir le précédent.

man, en remontant l'Irâvadi, le ramène de là à Malmain, sur le golfe de Martaban, en traversant les territoires vassaux qui confinent au Barmâ oriental et aux provinces siamoises, et en descendant, depuis Toungou, le cours de la Salouên, et finalement nous conduit à l'entrée du royaume de Siam où nous laisse le voyageur. Ces deux volumes sont assurément pleins de faits, de recherches, d'études instructives et curieuses; et pourtant nous ne pouvons dire qu'ils aient complétement répondu à notre attente ni qu'ils nous satisfassent entièrement. Nous ne savons quel jugement en portera l'Allemagne, où le fond fait peut-être plus aisément passer sur la forme; mais nous osons dire qu'en France on regrettera la distribution adoptée par l'auteur. Nous croyons qu'un mélange habilement fait des recherches historiques, de l'itinéraire et des éléments descriptifs, aurait jeté dans la composition à la fois de la variété et du repos, soutenu ou réveillé l'attention, et rendu la lecture du livre plus profitable en la rendant plus attachante. L'instruction y aurait gagné en même temps que l'intérêt. L'auteur aurait ainsi évité l'espèce d'anomalie que présente un volume purement historique et il y en aura deux quand aura paru le cinquième, - accolé à un journal de voyage. Et quand nous disons un journal, nous employons un terme impropre; on ne suit que très-imparfaitement l'auteur dans ses routes. Pas de dates régulières, nulle indication de directions ni de distances, même en temps. Les données topographiques, si intéressantes et si importantes dans des pays aussi peu connus que ceux-là, font complétement défaut c'est une fâcheuse déception pour les géographes. Peut-être ces lacunes auraient-elles paru moins choquantes si le récit eût été accompagné d'une grande et bonne carte, que M. Bastian promet, mais qu'on aurait voulu voir dès à présent : une carte, où des géographes tels que Petermann, Kiepert ou Hassenstein pourraient construire les routes du voyage, en supposant que le doc

teur Bastian en ait rapporté les éléments. Il n'est pas question, cela va sans dire, d'observations physiques d'aucune sorte, ni de déterminations astronomiques. Il est clair que ce n'était pas là le but ni la pensée du voyageur.

L'unique pensée du voyageur, c'était évidemment l'investigation historique, archéologique et linguistique. Cet objet est assurément assez important et d'un intérêt assez élevé pour faire oublier les recherches plus particulièrement géographiques, bien qu'on eût aimé les voir réunies; mais ici encore il nous est impossible de ne pas faire quelques réserves. Le savant auteur ne disconviendra pas, sans doute, que les histoires, en grande partie légendaires, qui remplissent son premier volume, sont passablement arides et vides d'intérêt réel; pourquoi n'avoir pas cherché à relever cette aridité inévitable par un travail de critique? Une étude, par exemple, sur les sources et les origines de ces légendes, n'en aurait-elle pas utilement aplani la lecture, en même temps qu'elle lui aurait donné un but plus immédiat en la rattachant à une vue philosophique? Et puis, pourquoi cette abstention systématique de toute citation, de toute référence aux sources consultées. Ces sources, d'ailleurs, ne sont pas toujours indigènes; dans un long paragraphe intitulé das angraenzende Hochland und seine Bevælkerung, « le haut pays frontière et sa population, morceau qui abonde en utiles indications ethnographiques, il en est un bon nombre qui se trouvent déjà dans les travaux européens antérieurs pourquoi ne les pas citer à mesure qu'ils se présentent? La valeur des faits géographiques, comme celle des faits historiques, repose en grande partie sur l'autorité des sources; et quand il s'agit de contrées si peu connues que celles où le docteur Bastian nous conduit, celui qui se borne à réunir les faits bruts sans les comparer, sans les discuter, sans en tirer la substance par un travail critique, n'a rempli que la moitié de sa tâche. La méthode et la lucidité décuplent la valeur de l'érudition.

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