Sidor som bilder
PDF
ePub
[ocr errors]

aux premières pluies tout change. La terre se couvre subitement d'un tapis d'herbe verte; le feuillage des arbres se ravive; le pays perd son air désolé. Cependant il faut convenir que, toute plantureuse qu'elle soit, la végétation de la basse Cochinchine (dans les parties que nous avons vues du moins) ne répond pas à l'idée qu'on se fait de la végétation tropicale. On est loin des tableaux que présentent certaines contrées de la zone torride, le Brésil, les Antilles, les îles de l'Océanie, par exemple. Les grands palmiers, les fougères arborescentes, les plantes herbacées aux larges feuilles, les grands végétaux parasites qui donnent un cachet tout particulier à ces contrées, ne se retrouvent pas ici en aussi grand nombre que dans les régions où il y a une plus égale répartition de sécheresse et d'humidité; et puis l'horizontalité du sol, l'absence de grandes lignes de montagnes, ne sont pas favorables au paysage. Dans les plaines basses, le plus souvent inondées d'eau saumâtre, qui composent une grande partie du territoire de la colonie, la végétation est pauvre en espèces; mais, disons tout de suite que ces plaines, si tristes à l'œil, sont les plus productives en riz, qu'elles sont la Beauce de l'extrême Orient.

« Quand on remonte le réseau de fleuves qui conduit à Saïgon, on suit des rives bordées d'un rideau uniforme de palétuviers des genres Bruguière et Rhizophore. Ces derniers, qui, sur certains points du globe, arrivent à une grande taille et fournissent des bois de construction de dimensions déjà respectables, ne sont le plus souvent ici que des arbustes. Presque tous les cours d'eau que nous avons parcourus, le Donnaï, le Soirap, les deux Vaïco, une grande partie des arroyos, montrent la même uniformité sur leurs rives, dans leur cours inférieur : souvent, sur les bords des arroyos, le palmier d'eau, ou une plante épineuse, l'acanthe à feuilles de houx, remplace les palétuviers.

a Aux environs de Saïgon, le pays change d'aspect. Il semble couvert d'une forêt. Mais les arbres en boule don

nent au paysage une apparence qui rappelle plutôt les zones tempérées que le voisinage de l'équateur. Les cocotiers sont rares, et ceux qu'on voit sont de petite taille. Les princes du règne végétal, comme Linné appelle à juste titre les palmiers, sont surtout représentés par les aréquiers. Ces arbres gracieux forment de véritables bois autour des cases, et le matin, les suaves émanations de leurs fleurs sont un heureux correctif aux âcres odeurs qui s'exhalent des centres de population annamites. Les environs de la ville actuelle de Saigon étaient occupés par des jardins; mais la guerre et la conquête ont passé par là, et les plaies inévitables qu'elles ont causées ne sont pas encore cicatrisées. On suit partout les traces des clôtures faites avec une grande euphorbe aux rameaux triangulaires hérissés d'épines, ou des haies impénétrables de bambous dont les touffes s'élèvent comme de grands arbres. Des orangers, des citronniers, des pamplemousses, des pommes-cannelle et d'autres arbres fruitiers témoignent que ces lieux, où il n'y a aujourd'hui que quelques misérables cases, étaient habités par une population industrieuse et riche. Les Annamites aiment la campagne et ont le goût de l'ornementation au moyen des fleurs; devant les cabanes les plus sales, les plus misérables, il est rare qu'il n'y ait pas un petit jardin où les plantes d'ornement tiennent une bonne place. Heureusement que la guerre n'a pas détruit tous les grands arbres qui ombrageaient les jardins, et que presque partout on en trouve encore de beaux échantillons des tamariniers, les plus beaux peut-être que nous ayons jamais vus, des manguiers magnifiques, des jacquiers, de grands figuiers dont les différentes espèces se confondent sous le nom d'arbres des Banians, et dont quelques-uns sont remarquables par leurs racines aériennes, qui, partant des branches, regagnent le sol, s'y fixent, et donnent naissance à de nouveaux arbres. Ainsi que nous l'avons dit plus haut, il est fâcheux que l'horizontalité du sol nuise à l'effet de cette belle végétation; si, au lieu d'être à

:

peu près tout plat, le terrain était un peu mouvementé, elle se montrerait sous un aspect plus avantageux. Vus d'un point culminant, du sommet d'un édifice quelconque de Saïgon, les environs se présentant sur un même plan, sans accidents de terrain, sans fond de tableau, ont le défaut que nous avons signalé: trop d'uniformité. L'appréciation est différente lorsqu'on examine de près les détails de la campagne; il y en a de charmants. Les petits sentiers de Cho'quan, par exemple, et les sentiers ombreux de Goviap, ne dépareraient pas les campagnes les plus favorisées.

« Ces deux cantons approvisionnent le marché de Saïgon en légumes et en fruits, parmi lesquels il faut citer de trèsbonnes mangues, le mangoustan, que quelques personnes mettent au-dessus de tous les fruits, des bananes excellentes, des ananas, etc. Les principales cultures sont le tabac, qui aurait sans doute un meilleur succès de vente si les feuilles étaient mieux préparées; les arachides, le bétel, dont les tiges sarmenteuses grimpent le long des jeunes aréquiers ou d'échalas disposés à dessein; le mûrier pour nourrir des vers qui donnent une soie grossière; quelques arbres à thé dont les produits sont médiocres, etc.

« La grande culture de la Cochinchine est celle du riz, ce blé de l'Orient. La canne à sucre n'est cultivée que sur une petite échelle. »

§ 8. Expédition française pour l'exploration scientifique des parties
supérieures du fleuve du Kambodj.

On a plus d'une fois, nous l'avons vu, exprimé le vœu que la France mît dès à présent à profit sa position en Cochinchine, pour explorer les contrées que traverse, audessus du Kambodj, le grand fleuve dont les ramifications inférieures forment le delta de la basse Cochinchine. Ce vœu est maintenant exaucé. On écrivait de Saïgon à la date du 6 juin dernier (1866), qu'une commission scienti

fique, chargée d'explorer le grand fleuve, venait de quitter la ville. La mission, composée de vingt à vingt-cinq personnes, montait deux canonnières. Elle a pour chef le lieutenant de vaisseau Garnier; elle est accompagnée de deux interprètes. Les études qu'elle doit poursuivre sont à la fois géographiques, physiques, ethnographiques, archéologiques et économiques. Les pays où elle va pénétrer sont au nombre des moins connus de l'Asie, et la reconnaissance qu'on en va faire peut avoir des conséquences aussi importantes pour le commerce que pour la science.

nan,

Le Mé-kong (c'est-à-dire la Grande Rivière), qui reçoit dans le bas de son cours le nom de fleuve du Kambodj, traverse, au-dessus de nos provinces cochinchinoises, une partie du Kambodj; au-dessus du Kambodj, il parcourt une longue étendue de l'Annam et du royaume de Siam; audessus du territoire de Siam, il traverse le Laos; au-dessus du Laos, enfin, il coupe un angle de la province de Yunet plus haut encore il fait remonter jusqu'aux grandes montagnes du Tibet, où il a ses sources encore inexplorées. Une grande partie des pays que le fleuve sillonne ainsi dans son parcours de 6 à 700 lieues est encore inexplorée, ou à peine entrevue; il y a là à étudier des questions importantes, à résoudre d'intéressants problèmes géographiques et ethnologiques. Nous n'espérons pas que la commission les puisse aborder tous; mais quoi qu'elle fasse, elle ne peut que rapporter de précieuses informations, et préparer peut-être des rapports ultérieurs d'une grande importance commerciale et politique. Les Anglais, depuis quelques années, font de grands efforts pour s'ouvrir, à travers les pays barmans, une route de leur province d'Arakan vers le sud-ouest de la Chine; le Mé-kong, dont l'embouchure nous appartient, peut nous ouvrir vers le même point une route plus longue, mais peut-être plus facile.

Cette éventualité, si importante qu'elle puisse être, n'est

[ocr errors]

pas, quant à présent, ce qui nous touche dans l'expédition actuelle. Ce que nous y voyons avant tout, ce sont les résultats scientifiques, qui ont bien aussi leur valeur pour l'honneur d'une nation, en regard du développement commercial. Nous avons là dans les mains la clef d'une vaste région ignorée; c'est à nous d'en ouvrir l'accès et d'en éclairer les mystères. Il nous appartient de faire, dans cette partie extrême de l'Asie, ce que notre seul passage a fait il y a soixante-huit ans pour l'Égypte, ce que notre initiative ɩ fait en Assyrie sur le site de Ninive, ce que depuis trentecinq ans nous accomplissons en Algérie.

Les premières nouvelles de l'expédition qui soient parvenues en France sont du mois de juillet. La mission venait de visiter les ruines d'Ankor et continuait sa route sur le M-kong. Le roi du Kambodj, empressé de témoigner sa sympathie pour tout ce qui intéresse la France, avait fourni une nombreuse et brillante escorte. La commission se disposait à monter sur des barques du Laos. Les pluies avaient commencé. On ne donnait pas encore d'autres détails.

$ 9. Quelques mots sur Saïgon.

Le lieutenant Richard a tracé un portrait si heureux et si vivant de Saïgon (no 82), que nous nous reprocherions de ne pas reproduire quelques traits de cette excellente esquisse. Il est d'ailleurs fort intéressant pour nous de suivre le développement rapide de cette capitale de notre établissement de la Cochinchine. Saigon est située sur l'un des bras du Donaï, dit bras de Saïgon, à l'extrémité N. N. E. d'un vaste pays d'alluvion; - immense delta à peine élevé audessus du niveau de la mer, et sillonné par les nombreuses embouchures du Donai, du Soirap et du Kambodge, ainsi que par un grand nombre d'arroyos, qui, se projetant dans toutes les directions, sont autant de routes favorisées par la

« FöregåendeFortsätt »