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marée, qui se fait sentir bien loin dans les terres qu'elle arrose ainsi deux fois par jour.

Cette ville est toute entière sur la rive droite du fleuve et sur la rive gauche de l'arroyo chinois, à 100 kilomètres de la mer. Elle est protégée en aval par une redoute connue sous le nom de fort du Sud, et défendue au nord, du côté de la plaine, par une citadelle construite en 1821 par des ingénieurs français.

Placée entre les Indes d'une part, la Chine et le Japon d'autre part, l'importance militaire et stratégique de cette ville est incontestable. Les étrangers le savent bien; aussi l'appellent-ils dès aujourd'hui, et non sans jalousie, « la Singapour française. »

On pourrait aussi bien la nommer la Venise de l'Orient, car la ville est sillonnée de canaux qui rappellent la cité des doges, l'ancienne reine de l'Adriatique. De grandes barques s'y croisent dans tous les sens, et vont porter leur chargement jusqu'à la porte des magasins.

Entre Saïgon et le fort du Sud, se trouve le port du commerce, où les élégants navires européens sont mêlés aux massives barques annamites ou kambodjiennes et aux jonques chinoises, toutes chamarrées et ornées de dragons fantastiques, qui donnent au port un aspect des plus pittoresques. Rien n'est plus curieux à observer que les jonques des grands personnages annamites qui viennent de temps à autre saluer le gouverneur, et qui, dans cette circonstance, déploient tout le luxe oriental dont ils sont capables. On se plaît à voir briller les fers de lance, les tridents, les plumes de paon, signe distinctif du haut mandarinat. On aime à voir flotter des couleurs que nous combattions naguère, et qui maintenant viennent paisiblement et humblement s'incliner devant notre pavillon. Un tam-tam au son grave, se faisant entendre de temps à autre, donne à chaque défilé un certain je ne sais quoi d'imposant, presque de majestueux. On voit ici une véritable ville flottante; les quais sont

bordés et la rade est continuellement sillonnée de jonques et de sampans ces dernières embarcations sont des troncs d'arbres que les Annamites creusent et façonnent comme autrefois les Gaulois creusaient les troncs des chênes gigantesques de leurs belles forêts pour en faire des canots. Ces pirogues, qui flottent au ras de l'eau, ont une forme singulière; elles portent, au milieu, une cabane couverte de feuilles de palmier, où se trouvent tous les ustensiles de la cuisine annamite, car le batelier annamite naît, vit, souffre et meurt sur son bateau. Les extrémités de l'embarcation sont relevées; c'est là que se placent, debout et faisant face en avant, les pagayeurs, qui sont ordinairement des femmes. Les embarcations un peu fortes, les jonques, par exemple, portent des voiles faites avec des nattes grossières, que l'on fabrique soit avec des feuilles de cocotier, soit avec des joncs. Dans ces embarcations fourmillent des familles nombreuses qui souvent n'ont pas d'autre habitation.

Ceux qui ont fait la conquête de Saïgon ne reconnaîtraient certainement plus la pauvre ville annamite d'autrefois. Où ils n'ont laissé que de chétives cases, établies au milieu de marais infects, se trouvent de jolies maisons, bordant de magnifiques boulevards, auxquels il ne manque plus que le frais ombrage dont on jouira un jour, quand les beaux arbres qu'on y a plantés auront acquis assez de développement pour intercepter les rayons du soleil. Les affreuses paillottes qui bordaient la rive droite du fleuve et la rive. gauche de l'arroyo chinois, et devant lesquelles on ne pouvait passer sans être incommodé par une forte odeur de nuoc-mam qui donnait des nausées, ont disparu pour faire place au joli quai Napoléon, ayant cinquante mètres de largeur, et divisé en allées sablées et en plates-bandes

1. Sorte de saumure faite avec du poisson pourri, et servant à relever les mets annamites.

gazonnées et plantées d'arbres. Les magasins parfaitement alignés de nos principaux négociants servent d'un côté de cadre à cette agréable promenade, qui est ornée d'une colonne élevée par le commerce de Saïgon à la mémoire d'un de ses premiers administrateurs français.

De larges boulevards, des chemins, des ponts, jusqu'alors inconnus en Cochinchine, permettent aux équipages, fiacres et autres voitures de rouler facilement là où naguère encore on ne pouvait circuler qu'à pied, en enfonçant dans la vase jusqu'à mi-jambe.

On rencontre encore à Saïgon quelques vestiges des monuments ayant servi au culte bouddhique, entre autres une très-jolie petite pagode située au milieu de la ville, et qui sera bientôt un objet de curiosité cher aux archéologues, car les monuments annamites disparaissent avec rapidité pour faire place aux maisons particulières.

M. Richard passe ensuite en revue les édifices et les établissements publics qui existent déjà ou qui sont en vue de formation la cathédrale, qui n'est qu'un bâtiment provisoire, l'hôtel du gouvernement, l'imprimerie impériale, d'où sont sorties déjà d'intéressantes publications, l'hôtel de la direction de l'intérieur, la caserne, la direction des constructions navales, le bassin de radoub, le jardin botanique ou zoologique, et enfin le Collége des Missions et l'École française, établissement fondé à la fin de 1861 et qui commence à porter ses fruits. Déjà les élèves indigènes. lisent couramment leur langue imprimée en caractères latins; bientôt ils l'écriront. Ils lisent le français, que quelques-uns commencent à comprendre et à parler. Grâce à la sollicitude du gouvernement, des écoles ont été fondées dans diverses localités, et les élèves, montrant beaucoup d'intelligence et d'aptitude, ont fait de sensibles progrès.

M. Richard nous fait visiter les environs de la nouvelle capitale, et nous montre partout la vie française commençant à se répandre au sein de la population active; nous

regrettons de ne pouvoir le suivre dans ces intéressantes excursions.

$ 10. Le Kambodj, ses ruines et ses tribus.

Nous avons, dans notre précédente Année1, donné une idée générale du Kambodj, de sa nature et de ses productions; un des traits les plus remarquables du pays, nous le savons, ce sont les ruines religieuses qu'on y trouve, et qui semblent témoigner d'un état ancien supérieur à son état actuel. Parmi ces ruines, celles qui ont surtout frappé les quelques voyageurs qui ont jusqu'à présent pénétré dans le Kambodj, ce sont les restes véritablement grandioses d'un temple bouddhique connu sous le nom de Nakhor Vat (ou, par une double corruption populaire, Nakhon et Ongkor), situés près du site également ruiné de l'ancienne capitale. M. Mouhot, le premier de nos jours, les a vus et décrits en 1858; depuis lors ils ont été visités par plusieurs touristes anglais, et dans le même temps par le Dr Bastian, qui en a donné une notice imprimée au t. XXXV du journal de la Société de géographie de Londres. M. Bastian y a relevé des inscriptions. Les plus récentes, en langue vulgaire, sont de simples adresses votives qui n'apprennent rien d'intéressant; les inscriptions anciennes, en pali et el caractères archaïques analogues aux inscriptions de l'Inde, seront sûrement plus instructives, quand elles seront lues. et déchiffrées, en ce qui touche à l'époque des inscriptions. Au total, on peut dire que ce qui a été publié jusqu'à présent sur ces restes d'une autre époque est bien loin de nous donner une idée claire et satisfaisante de la disposition, du plan et du détail architectural ou archéologique des cons

1. L'Année géographique, t. IV, p. 247 et suiv.

2. A visit tho the ruined cities and buildings of Cambodia, p. 74 à 87 du volume cité.

tructions. C'est une tâche réservée sans doute à nos explorateurs. L'ancienne ville royale est à 2 heures de Nakhor Vat. Son nom sacré était en pali, c'est-à-dire dans la langue religieuse, Inthapata buri (en sanscrit Indraprasthapoùra, « Ville résidence d'Indra »); ses restes sont désignés dans le pays sous le nom de Nakhon Luang, ▾ la Ville Royale. » Les ruines sont d'une grande étendue. La ville, selon l'usage universel de l'Indo-Chine, était environnée d'une triple enceinte; l'enceinte intérieure renfermait la résidence royale.

Le mémoire de M. Bastian sur les tribus montagnardes du Kambodj1 ne se renferme pas dans les limites de ce royaume; on y trouve une énumération, accompagnée de détails historiques et ethnographiques, des nombreuses tribus montagnardes de l'Annam (c'est-à-dire de la Cochinchine et du Tunkin), depuis le Tsiampajusqu'à la frontière chinoise. Le voyageur dit à ce sujet : Toutes les tribus sauvages des montagnes, que les Kambodjas nomment Pnom, les Cochinchinois Moi et les Tunkinois Myong, sont désignées par les Siamois sous l'appellation générique de Kha, mot qui signifie proprement esclave. Cette qualification vient de ce que ces barbares, toujours à la chasse réciproque les uns des autres pour se procurer des prisonniers dont ils alimentent les marchés à esclaves du Kambodj, y forment encore aujourd'hui la classe servile, que le voyageur chinois du treizième siècle dont Abel Rémusat a traduit la relation désigne sous le nom de tsoung, ou chiens. Les Barmans appliquent la même particule initiale, qui pour eux n'a pas de signification, au nom de divers peuples des montagnes, aux Kakhyên, par exemple, des montagnes du nord. » Nous avons rapporté plus haut la très-intéressante notice de Mgr Bi

1. Dans le journal géographique de Berlin, 1866. Voir ci-dessus la bibliographie, sous le n° 74. On retrouve les mêmes notions plus développées au t. I de sa relation, p. 158 et suiv. (Les populations du haut pays de l'Indo-Chine).

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