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du six au sept, fut taillé en pièces par le sieur Daillebout, Capitaine de Compagnie, qui y commandoit, & qui tira sur eux à mitraille; plus de trois cens resterent sur la place, & il n'y eut de sauvés que ceux qui demandoient quartier, les blessés furent transférés dans nos hôpitaux. Nous fimes en cette occasion cent dix-neuf prisonniers, & n'eûmes que trois hommes de tués ou blessés; mais nous perdîmes un Canonier, qui fut fort regretté.

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"Pour sur croit d'infortune, il arrive aux Anglois le 15 une Escadre de six Vaisseaux de guerre, venant de Londres. Ces Vaisseaux croiserent devant la Ville, avec les Frégattes sans tirer un seul coup. Mais nous avons sçu depuis que, si nous eussions tarder à capituler, tous les Vaisseaux se seroient embossés, et nous auroient fait essuyer le feu le plus vif. Leurs dispositions n'ont point eté ignorée, je rappor terai l'ordre qu'ils devoient tenir.

"Les ennemis ne s'étoient encore point avisés de tirer à boulets rouges; ils le firent le dix-huit & le dix-neuf, avec un succès qui auroit eté plus grand, sans le prompt secours qui y fut apporté. Le feu prit à trois ou quatre maisons, mais on l'eut bientôt éteint. La promptitude en ces sortes d'occasions, est la seul ressource que l'on puisse avoir.

"L'Arrivée de l'Escadre étoit, sans doute, l'objet de ce nouveau salut de la part de l'Armée de terre; son Général qui vouloit avoir l'honneur de notre conquête, étant bien aisé de nous forcer à nous soumettre avant que l'Escadre se fût mise en devoir de nous y contraindre.

"L'Amiral de son côté songeoit à se procurer l'honneur de nous reduire. Un Officier vint pour cet effet, le vingt-un, nous proposer de sa part, que si nous avions à nous rendre, il seroit plus convenable de le faire à lui, qui auroit des égards que nous ne trouverions peut être pas dans le Commandant de terre. Tout cela marquoit peu d'intelligence entre les deux Généraux, & verifie assés la remarque que j'ai ci-devant

faite: on n'eût jamais dit en effet que ces troupes fussent de la même Nation & sous l'obéissance du même Prince. Les Anglais sont les seuls peuples capables de ces bizarreries, qui font cependant partie de cette précieuse liberté dont ils se montrent si jaloux.

"Nous répondîmes à l'Officier, par qui l'Amiral Warren nous avoit fait donner cet avis, que nous n'avions point de réponse à lui faire, & que quand nous en serions à cette extrémité, nous verrions le parti qu'il conviendroit d'embrasser. Cette fanfaronade eût fait rire quiconque auroit été témoin de notre embarras en particulier; il ne pouvoit être plus grand: cet Officier dût s'en apperçevoir, malgré la bonne contenance que nous affections. Il est difficile que le visage ne décéle les mouvements du cœur. Les Conseils étoient plus frequens que jamais, mais non plus salutaires; on s'assembloit sans trop sçavoir pourquoi, aussi ne sçavoiton que résoudre. J'ai souvent ri de ces assemblées, où il ne se passoit rien que de ridicule, & qui n'annonçat le trouble & l'indécision. Le soin de notre défense n'étoit plus ce qui occupoit. Si les Anglois eussent sçu profiter de notre épouvante il y auroit eu longtems qu'ils nous auroient emportés, l'épée en main. Mais il faut convenir à leur louange, qu'ils avoient autant de peur que nous. Cela m'a plusieurs fois rappellé la fable du Liévre & des Grenouilles.

"Le but de nos frequens Conseils étoit de dresser des articles de capitulation. On y employa jusqu'au vingt sept, que le sieur Lopinot, Officier, sortit pour les porter au Commandant de terre. L'on se flatoit de les lui faire mieux goûter qu'à l'Amiral. Mais ils étoient si extraordinaires, que malgré l'envie que ce Général avoit de nous voir rendre à lui, il se donna à peine la patience de les écouter. Je me souviens que nous demandions par un article, cinq piéces de canon, & deux mortiers de fonte. De pareilles propositions ne quadroient guéres avec notre situation.

"Afin de réussir d'un côté ou d'autre, on envoya proposer les mêmes conditions à l'Amiral. Cette négociation avoit été confiée au sieur Bonaventure, Capitaine de Compagnie, qui s'intrigua beaucoup auprès de M. Warren, & qui, quoique la plupart de nos articles fussent rejettez, en obtint pourtant d'assés honorables. On arrêta donc la Capitulation telle que les nouvelles publiques l'ont raportée. Elle nous fut annoncée par deux coups de canon tirés à bord de l'Amiral, ainsi qu'on en avoit donné l'ordre au Sieur Bonaventure. A cette nouvelle, nous reprimes un peu de tranquillité; car nous avions sujet d'apprehender le sort le plus triste. Nous craignons à tout moment, que les ennemis, sortant de leur aveuglement, ne se présentassent pour nous enlever d'assaut. Tout les y convioit; il y avoit deux bréches de la longueur d'environ cinquante pieds chacune, l'une à la porte Dauphine, & l'autre à l'Eperon, qui est vis-à-vis. Ils nous ont dit depuis que la resolution en avoit été prise, & l'exécution renvoyée au lendemain. Les Navires devoient les favoriser, & s'embosser de la maniere suivante.

"Quatre Vaisseaux & quatre Frégattes étoient destinés pour le bastion Dauphin: un egal nombre de Vaisseaux & de Frégattes, parmi lesquels étoit le Vigilant, devoit attaquer la piéce de la Grave: & trois autres Vaisseaux & autant de Frégattes avoient ordre de s'attacher à l'Isle de l'entree. Nous n'eussions jamais pû repondre au feu de tous ces Vaisseaux & défendre en même tems nos brêches; de façon qu'il auroit fallu succomber, quelques efforts que nous eussions pû faire, & nous voir réduits à recourir à la clémence d'un vainqueur, de la générosité duquel il y avoit à se défier. L'Armée de terre n'étoit composée que de gens ramassés, sans subordination ni discipline, qui nous auroit fait éprouver tout ce que l'insolence & la rage ont de plus furieux. La capitulation n'a point empêché qu'ils ne nous ayent bien fait du mal.

"C'est donc par une protection visible de la Providence, que nous avons prévenu une journée qui nous auroit été si funeste. Ce qui nous y a le plus déterminé, est le peu de poudre qui nous restoit: je puis assurer que nous n'en avions pas pour faire trois décharges. C'est ici le point critique & sur lequel on cherche le plus à en imposer au public mal instruit: on voudroit lui persuader qu'il nous en restoi'; encore vingt milliers. Fausseté insigne! Je n'ai aucune interêt à déguiser la vérité; on doit d'autant plus m'en croire, que je ne prétends pas par-là justifier entierement nos Officiers. S'ils n'ont pas capitulé trop tôt ils avoient commis assez d'autres fautes, pour ne les pas laver du blâme qu'ils ont encouru. Il est constant que nous n'avions plus que trent-sept barils de poudre, à cent livres chacun; voilà ce qui est veritable, & non pas tout ce qu'on raconte de contraire. Nous n'en trouvions même d'abord que trentecinq; mais les recherches qu'on fit nous en procurerent deux autres, cachés apparemment par les Canoniers, qu'on sçait être partout accoutumés à ce larcin."

II.

"LETTRE DE MONSIEUR DU CHAMBON AU MINISTRE, ▲ ROCHEFORT, LE 2 SEPTEMBRE, 1745.

"MONSEIGNEUR,

"Archives de la Marine.

"J'ai l'honneur de vous rendre compte de l'attaque et reddition de Louisbourg, ainsy que vous me l'avez ordonné par votre lettre du 20 de ce mois.

"Nous eûmes connaissance d'un battiment le quatorze mars dernier parmy les glaces qui étaient détachées du golfe; ce battiment parut à 3 ou 4 lieues devant le port

et drivait vers la partie du sud-ouest, et il nous disparut l'après-midi.

"Le 19 du d. nous vîmes encore en dehors les glaces un senaux qui couroit le long de la banquise qui était etendue depuis Escartary jusques au St Esprit, plusieurs chasseurs et soldats, hivernant dans le bois, m'informèrent qu'ils avaient vu, les uns deux battiments qui avoient viré de bord à Menadou, et d'autres qu'ils avoient entendu du canon du côté du St Esprit, ce qui fit que j'ordonnai aux habitans des ports de l'isle, qui étaient à portée de la ville, de se renger aux signaux qui leur seroient faits.

"Je fis en outre rassembler les habitans de la ville et port de Louisbourg, je formai de ceux de la ville quatre compagnies, et je donnai ordre à ceux du port de se renger à la batterie Royale, et à celle de l'isle de l'entrée, au signaux que je leur fit donner.

"Le 9 avril nous aperçûmes à l'éclaircy de la brume, et parmi les glaces vers la Pointe Blanche, quatre battimens, le premier ayant tiré quelques coups de canon, l'islot lui répondit d'un coup, et le battiment l'ayant rendu sur le champ, cela nous confirma dans l'idée que c'étoient des François qui cherchoient à forcer les glaces pour entrer dans le port. D'ailleurs ils profitoient des éclaircis pour s'y enfourner vers le port, et cela nous assuroit pour ainsi dire, que ce n'étoit pas des corsaires, mais bien des François.

"Etant dans le doute si c'étoit des basttiments François ou Anglois, j'envoyai ordre à Monsieur Benoit, officier commandant au port Toulouse, de dettacher quelqu'un de confiance à Canceau, pour apprendre s'il y avoit des basttiments, et si on y travailloit, ou s'il y avoit apparance de quelque entreprise sur l'isle Royale.

"Monsieur Benoit dettacha le nommé Jacob Coste, habitant, avec un soldat de la garnison et un Sauvage, pour faire quelques prisonniers au dit lieu. Ces trois envoyés mirent

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