Sidor som bilder
PDF
ePub

Je m'explique: Qu'est-ce que le jury? c'est la société elle-même, c'est l'expression de ses vœux, de sa pensée. C'est surtout en délits de la presse que son intervention est indispensable dans les querelles du pouvoir.

[ocr errors]

Abandonné à lui-même, celui-ci est toujours mauvais juge de questions qui le touchent jusqu'aa'vif. Il est l'ennemi ne de la liberté de la presse, attendu qu'il est exercé par des hommes, et qu'il est de la tendance humaine de s'affranchir de tout lien qui gène, de tout obstacle qui arrête. Les juges eux-mêmes sout justiciables de la liberté des opinions: leurs arrêts, s'ils s'écartent des lois, leurs actes, peuvent être soumis à l'examen; dans quelques bornes qu'ils se renferment, ils s'en irriterout toujours. L'amour-propre offensé est mauvais juge de ses offenses: en supposant qu'ifles supporte, il n'attend que l'occasion de les venger; et si d'abord l'orgueil ne condamne pas, plus tard c'est la rancune qui puuit.

Les tribunaux, tels qu'ils sont institués, sont indépendans de droit et dépendans de fait. Des changemens forcés de résidence ne peuvent-ils pas changer lear sort? et quand il vaque une haute magistrature, un siège à la cour de cassation, un fauteuil au conseil d'état, une préfecture de police; quand les sceaux même de l'État paraissent incertains dans les mains qui les tiennent, tout juge ne peut-il pas être ambitieux? et s'il résiste à l'espoir de la faveur, pourrait-il resister à la faveur obtenue?

La reconnaissance est une vertu si doace, qu'on croit n'être pas injuste quand on n'est pas ingrat......

«Sous un gouvernement représentatif, il y a toujours deux partis; ils en sont l'indispensable condition. Faire juger l'opposition par le parti dominant, c'est la condamner d'avance, parce que l'esprit de parti est de sa nature passionné, parce qu'il regarde toujours comme funestes, comme subversives les opinions du parti contraire. Aussi les juges, même les plus scrupuleux en matière ci vile, sont beaucoup moins conscientieux en matière d'opinion. Ils se regardent alors comme des hommes politiques.

- Si le jury n'est autre que l'expression de la pensée publique, le ministère, le jour où il en réclame la destruction, fait donc le plus terrible aveu qui puisse échapper au pouvoir: il reconnaît que la société lui est hostile, ou plutôt qu'il est hostile à la société. Un instinct secret l'avertit qu'il ne peut plus compter sur elle, parce qu'elle ne peut plus compter sur lui. Il la repousse, parce qu'il en est repoussé; alors toutes les défiances s'éveillent, tous les cœurs se ressèrent: voilà, disous-le hautement, voilà la cause de la crise actuelle. La charte était le point d'appui de tous les intérêts; à mesure qu'on l'a violée, on s'est retiré de la nation. Pour appuyer un système fallacieux, on a senti le besoin de se former une société factice: telle fut la marche du dernier ministère. Gouvernant par des lois d'exception, un jury d'exception lui était indispensable. Seul il pouvait lui offrir des garanties qu'il n'aurait plus trouvées dans un jury impartial. Eh bien! l'institution faussée, réduite à n'être qu'un instrument, ne rassure pas même le nouveau ministère; il la redoute, il la brise, parce que, tout façonné qu'il soit aux volontes du pouvoir, le jury d'exception ne plie pas encore assez; parce qu'il ose quelquefois obéir à sa conviction; parce qu'étant malgré tout, une émanation de la société, il lui cède à son insu: qu'il est regle par son mouvement, et que ne pouvant fermer les yeux à toutes les clartés qui l'environnent, il ne consent pas toujours à frapper en aveugle.

[ocr errors]

C'est donc la compétence de la raison publique que le ministère décline; et il manifeste ainsi qu'il ne gouverne pas dans les intérêts réels de la société. Il a le sentiment intime qu'elle est mécontente. Elle le sera plus encore, Messieurs; les peines qu'il faudra chaque jour ajouter à des peines, ne parviendront pas

à reconquérir son amour; car, ne vous y trompez pas, des sévérités appellent toujours des sévérités nouvelles; elles redoublent la défiance; et, à mesure que Firritation augmente, il faut augmenter les lois pénales. C'est ainsi qu'un gouvernement qui a su mal étudier le pays, est conduit de la fausseté à l'arbitraire, de l'arbitraire à la violence, de la violence à la tyrannie. C'est une suite inévitable des lois de l'accélération. Croyez-vous que les hommes qui, à de sinistres époques, ont convert la France de deuil, soient arrivés tont coup aux excès dont ils l'ont épouvantée? Ils commencèrent par les suspects; et après avoir peuplé les prisons, ils dressèrent les échafauds...

[ocr errors]
[ocr errors]

Après d'autres considérations sur les vices, sur les rigueurs de la loi, sur la protection qu'elle accorde aux agens les plus subalternes de l'autorité, sur l'inconvénient de relever des ordres sous le nom de classes, de soulever l'orgueil des classes inférieures, et de donner des armes à l'impiété dans un temps où la religion est réellement en honneur et ses ministres respectés », M. Étienne revient à sa première proposition, que « la guerre est déclarée à la Charte »; et il rejette la loi dont il a signalé les dangers.

[ocr errors]

(22 janvier.) A ces allégations, à ces reproches de MM. de Corcelles et Étienne, M. Revelière répond que des lois, soit répressives, soit permanentes, soit transitoires, peuvent être comprises dans la Charte; et M. le général Sébastiani ajoute de nouveaux développemens sur le danger qui résulte d'une loi qui lui paraît uniquement destinée à devenir un instrument de parti :

[ocr errors]

Tel est le vrai caractère du projet, dit-il; la religion, la royauté, l'ordre, toutes ces nobles et grandes institutions ne sont là que comme un voile nécessaire.

[ocr errors]

Dans tous les gouvernemens représentatifs qui n'ont pas été faussés, on peut s'affranchir de la domination d'un parti par la dissolution et le renouvellement de la chambre. Cette solution légale s'opère sans secousse, et tout vient se résoudre dans cette mesure politique et constitutiounelle. Depuis le nouveau système électoral, tout est factice et mensonger dans l'élection des députés; le pouvoir, sous toutes ses formes, et à tous ses degrés, est entièrement dans les mains d'un parti on près d'y tomber. Par les élections, ce parti envahit les chambres; par les chambres, il saisit le ministère; par le ministère, il possède toute l'administration.

«< Ainsi la société, on, si l'on veut, tout ce qui dans la société n'est pas de ce parti, se trouve complétement hors du pouvoir, dénué de tout moyen d'influence sur le gouvernement.

[ocr errors]

Que pourrait-il rester à la société, la liberté de la presse et le jury se soutenant réciproquement? Cette garantie enlevée, le parti n'a plus rien à redonter... An dedans les chambres ne seront plus que l'instrument de ces derniers. Il fera des lois pour détruire les intérêts nouveaux, comme la révolution en a fait pour détruire les intérêts anciens. La législation entière deviendra une

œuvre de parti. Hors des Chambres le complet envahissement de fonctions pnLliques; c'est pour le parti le moyen le plus facile de réparer ses pertes... Je n'ose développer toutes les conséquences de cet envahissement.

La latte de l'ordre ancien et de l'ordre nouveau est universelle; elle pent avoir beaucoup de vicissitudes, mais elle est définitivement engagée. . . . . . .......La France, qui a obtenu les institutions, objets de cette lutte, est dans une situation admirable, non-seulement pour rester calme au milieu de l'agitation européenne, mais pour profiter de toutes les chances que de si grands événemens ne sauraient manquer d'offrir à son industrie, à son commerce, à son importance et à sa considération politique. Elle n'a besoin de s'engager irrévocablement dans aucun système; rien ne l'oblige à subir les conditions d'aucune alliance. Elle peut, selon les circonstances, se porter partout protecteur, modérateur, médiateur. Comme elle a tenn le sceptre de la guerre, elle pent tenir le sceptre de la paix.

« Tous ces avantages de son état actuel, elle les perdra dès que le parti de l'ancien régime, pleinement affranchi de la société par la servitude de la presse, pourra se livrer à son système et suivre ses penchans. Il aura partout des agens, non pour mettre à profit dans l'intérêt de la France les événemens de tout genre, mais pour servir partout ses propres intérêts, ses propres passions. Il vivra dans la préoccupation de lui-même, dans l'ignorance de tout le reste. En un mot, il mettra la France à la suite d'une cause, et d'une cause partout impopulaire ; tandis que la France est maintenant appelée à dominer toutes les causes et à recueillir quelque fruit de toutes les fautes qui seront commises autour de nous, soit par les peuples, soit par les gouvernemens.

Et qu'on ne m'accuse pas d'exagérer les conséquences du projet que nous discatons. Ce n'est point à ce projet seul que je les attribue, mais au système dont il fait partie. Il est aisé de s'arrêter à chaque pas pour soutenir qu'on n'est point arrivé. Ce que je soutiens, c'est que nous marchons à la domination d'un parti de l'ancien régime, et que dans cette route le projet je loi est un grand progres; progrès déplorable comme tous les autres; car le résultat en serait fatal, et perdrait ceux qui le secondent après avoir inutilement vaincu ceux qui s'y opposent. C'est dans l'intérêt de la monarchie légitime et constitutionnelle que je vote le rejet du projet de loi. »

Dans la même séance aussi, M. Pavée de Vandœuvre combattit le projet, défendu d'un autre côté par MM. Reveillère, le général Partouneau et de Castelbajac, sous le rapport de la nécessité de réprimer la licence de la presse, et du droit de le faire conformé– ment au projet, «sans qu'on puisse y voir une violation de la Charte, ou même de la liberté de la presse, dont les délits ne devaient être jugés que par les tribunaux. »>

M. Royer-Collard montant à la tribune après M. de Castelbajac, prit la question de plus haut, et la traita plus largement...

- La loi proposée, dit-il, contient un grand nombre de dispositions, et telle est leur diversité, qu'on peut dire que chaque article est une loi qui a ses motifs, son but particulier. Les amendemens inattendus de la commission sont encore d'autres lois qui dépassent singulièrement le projet auquel elles s'appli Annuaire hist. pour 1822.

quent... Dans cette immédiate confusion, la discussion générale ne peut que saisir et caractériser l'esprit qui a dicté toutes ces innovations. Je ne les calomnie pas en avançant au moins qu'elles ont pour but commun et qu'elles doivent avoir pour effet certain de restreindre et de comprimer, autant qu'il est possible, par une répression à la fois plus arbitraire et plus sévère, la liberté dont la presse jouit en ce moment.

K

Pour apprécier l'importance politique de ce dessein, il faut considérer la liberté de la presse bien moius en elle-même que dans ses rapports avec le gouvernement et la société. Car s'il était reconnu que, dans le gouvernement, la liberté de la presse a la vertu d'une institution, et que dans la composition actuelle de la société elle est une nécessité, les atteintes qui lui seraient portées ne seraient pas seulement une violation des droits privés, elles changeraient encore l'état du gouvernement et elles opprimeraient la société entière.

к

Que la liberté de la presse ait ce donble caractère d'une institution politique et d'une nécessité sociale, c'est ce qui ne peut être révoqué en doute.

"

« Du droit de chaque Français de faire imprimer et de publier ses opinions, résulte la publicité universelle. La publicité est une sorte de résistance aux pouvoirs établis, parce qu'elle dénonce leurs écarts et leurs erreurs, et qu'elle est capable de faire triompher contre eux la vérité et la justice; elle est la plus énergique des résistances, parce qu'elle ne cesse jamais; elle est la plus noble, parce que toute sa force est dans la conscience morale des hommes. Envisagée sous ce rapport, la publicité est une institution, une liberté publique; car, Messieurs, les libertés publiques ne sont pas autre chose que des résistances... Nous avons vu la vieille société périr, et avec elle cette foule d'institutions domestiques et de magistratures indépendantes qu'elle portait dans son sein, faisceaux puissans des droits privės, vraies républiques dans la monarchie. Ces institutions, ces magistratures, ne partageaient pas, il est vrai, la souveraineté ; mais elles lui opposaient partout des limites que l'honneur défendait avec opiniâtreté. Pas une n'a survécn, et nulle autre ne s'est élevée à leur place. La révolution n'a laissé debout que les individus. La dictature qui l'a terminée a consommé, sous ce rapport, son ouvrage; elle a dissous jusqu'à l'association pour ainsi dire physique de la commune; elle a dissipé jusqu'à l'ombre des magistratures, dépositaires des droits et vouées à leur défense. Spectacle sans exemple: on n'avait encore vu que dans les livres des philosophes une nation ainsi décomposée et réduite à ses derniers élémens. De la societé en poussière est sortie la centralisation; il ne faut pas chercher ailleurs son origine. La centralisation n'est pas arrivée, comme d'autres doctrines non moins pernicieuses, le front levé, avec l'autorité d'un principe; elle a pénétré modestement, comme une conséquence, une nécessité. En effet, là où il n'y a que des individus, toutes les affaires qui ne sont pas les leurs sont des affaires publiques, les affaires de l'État; là où il n'y a point de magistrats indépendans, il n'y a que des délégués du pouvoir. C'est ainsi que nous sommes devenus un peuple d'administrés, sous la main de fonctionnaires irresponsables, centralisés eux-mêmes dans le pouvoir dont ils sont les ministres. La société a été léguée dans cet état à la restauration; la servitude publique, sans autre résistance que la générosité des mœurs, sans autre consolation que l'honneur immortel de nos armes, voilà l'héritage que Louis XVIII a recueilli, non de ses glorieux ancêtres, mais de l'empire qu'il avait lui-même recueilli de la révolution.

«La Charte avait donc à constituer à la fois le gouvernement et la société. La société a été non sans donte oubliée ou négligée, mais ajournée. La Charte n'a constitué que le gouvernement, et l'a constitué par la division de la sou

veraineté et la multiplicité des pouvoirs. La Charte aurait peu fait, trop peu pour relever la société, si elle s'était arrêtée à la division des pouvoirs. A la place d'un despotisme simple, nous aurions un despotisme composé; l'omnipotence parlementaire après l'omnipotence d'un seul. Devant l'une comme devant l'autre, la société, désarmée d'institutions, serait restée sans défense. Ce n'est qu'en fondant la liberté de la presse, comme droit public, que la Charte a veritablement fondé toutes les libertés, et rendu la société à elle-même. La liberté de la presse doit fonder à son tour la liberté de la tribune, qui n'a pas un autre principe, ni une autre garantie. Ainsi, selon la Charte, la publicité veille sur les pouvoirs; elle les éclaire, les avertit, les réprime, leur résiste. S'ils se dégagent de ce frein salutaire, ils n'en ont plus aucun; les droits écrits sont aussi faibles que les individus. Il est donc rigoureusement vrai, ainsi que je l'ai dit, que la liberté de la presse a le caractère et l'énergie d'une institution politique; il est vrai que cette institution est la seule qui restitue à la société des droits contre les pouvoirs qui la régissent; il est vrai que, le jour où elle périra, ce jour-là nous retournerons à la servitude. Les abus de la presse doivent être réprimés; qui est-ce qui en doute? mais on peut abuser aussi de la répression; et si l'abus va jusqu'à détruire la liberté, la répression n'est que la prévention, avec l'hypocrisie de plus.

L'autre caractère sous lequel la liberté de la presse doit être envisagée dans toutes les discussions dont elle est l'objet, c'est qu'elle est une nécessité. Ce mot porte sa force avec lui; les priviléges de la nécessité sont connus; elle ne les tient pas des lois, et les lois ne peuvent pas les lui ravir.

La nécessité de la presse résulte de l'état, de la composition, de l'esprit actuel de la société; c'est pourquoi j'ai dit qu'elle était une nécessité sociale. L'etat, la composition, l'esprit actuel de la société sont des faits éclatans qui ne peuvent être ignorés, ni dissimulés; je ne les décrirai pas autrement qu'on ne l'a fait dans l'exposé des motifs de la loi (par M. de Serre), je ne serais pas plas exact, et je ne dirais pas si bien.

La démocratie, chez nous, est-il dit dans cet exposé, est partout pleine de sévérité et d'énergie; elle est dans l'industrie, dans la propriété, dans les lois, dans les souvenirs, dans les hommes, dans les choses. Le torrent coule à pleins bords dans de faibles digues qui le contiennent à peine.

A mon tour, prenant, comme je le dois, la démocratie dans une acception purement politique, et comme opposée ou seulement comparée à l'aristocratie, je conviens que la démocratie coule à pleins bords dans la France, telle que les siècles et les événemens l'ont faite. Il est vrai que, dès long-temps, l'industrie et la propriété ne cessant de féconder, d'accroître, d'élever les classes moyennes, elles sont si fort approchées des classes supérieures, que, pour apercevoir encore celles-ci au-dessus de leurs têtes, il leur faudrait beaucoup descendre. La richesse a amené le loisir; le loisir a amené les lumières; l'indépendance a fait naître le patriotisme. Les classes moyennes ont abordé les affaires publiques; elles ne se sentent coupables ni de curiosité ni de hardiesse d'esprit pour s'en occuper : elles savent que ce sont leurs affaires. Voilà notre démocratie, telle que je la vois et la concois; oui, elle coule à pleins bords dans cette belle France plus que jamais favorisée du Ciel. Que d'autres s'en affligent ou s'en courroucent; pour moi, je rends grâces à la Providence de ce qu'elle a appelé aux bienfaits de la civilisation un plus grand nombre de ses

creatures.

Il faut accepter cet état, ou il faut le détruire; et, pour le détruire, il faut depeupler, appauvrir, abrutir les classes moyennes. L'aristocratie, la démocratie, ne sont pas de vaines doctrines livrées à nos disputes; ce sont des puis

« FöregåendeFortsätt »