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AFFAIRES D'ITALIE ET DE ROME.

LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

à M. le Comte DE SARTIGES, Ambassadeur de France à Rome.

Paris, le 12 septembre 1864.

Monsieur le Comte, la position que nous occupons à Rome est, depuis longtemps déjà, le sujet des plus sérieuses préoccupations du Gouvernement de l'Empereur. Les circonstances nous ont paru favorables pour examiner de nouveau l'état réel des choses, et nous croyons utile de communiquer au Saint-Siége le résultat de nos réflexions.

Je n'ai pas besoin de rappeler les considérations qui ont conduit à Rome le drapeau de la France et qui nous ont déterminés à l'y maintenir jusqu'ici. Nous étions résolus à ne point abandonner ce poste d'honneur tant que le but de l'occupation ne serait pas atteint. Cependant nous n'avons jamais pensé que cette situation dût être permanente; toujours nous l'avons considérée comme anormale et temporaire. C'est dans ces termes que le premier plénipotentiaire de l'Empereur au Congrès de Paris la caractérisait il y a huit ans. Il ajoutait, conformément aux ordres de Sa Majesté, que nous appelions de tous nos vœux le moment où nous pourrions retirer nos troupes de Rome sans compromettre la tranquillité intérieure du pays et l'autorité du Gouvernement pontifical. En toute occasion nous avons renouvelé les mêmes déclarations.

Au commencement de 1859, le Saint-Siége avait fait, de son côté,

la proposition de fixer à la fin de cette année l'évacuation du territoire gardé par nos troupes. La guerre qui éclata alors en Italie ayant décidé l'Empereur à renoncer à leur rappel, la même pensée fut reprise aussitôt que les événements parurent autoriser l'espoir que le Gouvernement pontifical serait en mesure de pourvoir à sa sûreté avec ses propres forces. De là l'entente établie en 1860, et en vertu de laquelle le départ des troupes françaises devait être effectué au mois d'août. Les agitations qui survinrent à la même époque empêchèrent encore une fois l'exécution d'une mesure que le Saint-Siége désirait comme nous. Mais le Gouvernement de l'Empereur n'en a pas moins continué de voir dans la présence de nos troupes à Rome un fait exceptionnel et passager, auquel, dans un intérêt mutuel, nous devions mettre un terme dès que la sûreté et l'indépendance du Saint-Siége seraient à l'abri de nouveaux périls.

Combien de raisons, en effet, n'avons-nous point de souhaiter que l'occupation ne se prolonge pas indéfiniment? Elle constitue un acte d'intervention contraire à l'un des principes fondamentaux de notre droit public, et d'autant plus difficile à justifier pour nous que notre but, en prêtant au Piémont l'appui de nos armes, a été d'affranchir l'Italie de l'intervention étrangère.

Cette situation a, en outre, pour conséquence, de placer face à face, sur le même terrain, deux souverainetés distinctes, et d'être ains fréquemment une cause de difficultés graves. La nature des choses est plus forte ici que le bon vouloir des hommes. De nombreuses mutations ont eu lieu dans le commandement supérieur de l'armée française, et les mêmes dissentiments, les mêmes conflits de juridiction se sont reproduits, à toutes les époques, entre nos généraux en chef, dont le premier devoir est évidemment de veiller à la sécurité de leur armée, et les représentants de l'autorité pontificale, jaloux de maintenir dans les actes d'administration intérieure l'indépendance du souverain territorial.

A ces inconvénients inévitables, que les agents français les plus sincèrement dévoués au Saint-Siége ne sont pas parvenus à écarter, viennent se joindre ceux qui résultent fatalement de la différence des points de vue politiques. Les deux Gouvernements n'obéissent

pas aux mêmes inspirations et ne procèdent pas d'après les mêmes principes. Notre conscience nous oblige trop souvent à donner des conseils que trop souvent aussi celle de la Cour de Rome croit devoir décliner. Si notre insistance prenait un caractère trop marqué, nous semblerions abuser de la force de notre position, et, dans ce cas, le Gouvernement pontifical perdrait, devant l'opinion publique, le mérite des résolutions les plus sages. D'autre part, en assistant à des actes en désaccord avec notre état social et avec les maximes de notre législation, nous échappons difficilement à la responsabilité d'une politique que nous ne saurions approuver. Le Saint-Siége, en raison de sa nature propre, a ses codes et son droit particuliers, qui, dans bien des occasions, se trouvent malheureusement en opposition avec les idées de ce temps. Éloignés de Rome, nous regretterions certainement encore de le voir en faire l'application rigoureuse, et, guidés par un dévouement filial, nous ne croirions pas, sans doute, pouvoir garder le silence, quand des faits semblables viendraient donner des prétextes aux accusations de ses adversaires; mais notre présence à Rome, qui nous crée à cet égard des obligations plus impérieuses, rend aussi, dans ces circonstances, les rapports des deux Gouvernements plus délicats, et met davantage en cause leurs susceptibilités réciproques.

Si manifestes que soient ces inconvénients, nous avons tenu à ne pas nous laisser détourner de la mission que nous avions acceptée. Le Saint-Père n'avait pas d'armée pour protéger son autorité à l'intérieur contre les projets du parti révolutionnaire, et, d'un autre côté, les dispositions les plus inquiétantes régnaient dans la Péninsule au sujet de la possession de Rome, que le Gouvernement italien lui-même, par la bouche des Ministres dans le Parlement, aussi bien que par ses communications diplomatiques, réclamait comme la capitale de l'Italie. Tant que ces vues occupaient la pensée du cabinet de Turin, nous devions craindre que, si nos troupes étaient rappelées, le territoire du SaintSiége ne fût exposé à des attaques que le Gouvernement pontifical n'aurait pas été en mesure de repousser. Nous avons voulu lui conserver notre appui armé jusqu'à ce que le danger de ces entraînements irréfléchis nous parût écarté.

Nous sommes frappés aujourd'hui, Monsieur le Comte, des heureux changements qui se manifestent, sous ce rapport, dans la situation générale de la Péninsule. Le Gouvernement italien s'efforce, depuis deux ans, de faire disparaître les derniers débris de ces associations redoutables qui, à la faveur des circonstances, s'étaient formées en dehors de son action, et dont les projets étaient principalement dirigés contre Rome. Après les avoir combattues ouvertement, il est parvenu à les dissoudre, et, chaque fois qu'elles ont essayé de se reconstituer, il a facilement déjoué leurs complots.

Ce Gouvernement ne s'est pas borné à empêcher qu'aucune force irrégulière pût s'organiser sur son territoire pour attaquer les provinces placées sous la souveraineté pontificale; il a donné à sa politique envers le Saint-Siége une attitude plus en harmonie avec ses devoirs internationaux. Il a cessé de mettre en avant, dans les Chambres, le programme absolu qui proclamait Rome capitale de l'Italie, et de nous adresser à ce sujet des déclarations péremptoires, auparavant si fréquentes. D'autres idées se sont fait place dans les meilleurs esprits et tendent de plus en plus à prévaloir. Renonçant à poursuivre par la force la réalisation d'un projet auquel nous étions résolus de nous opposer, et ne pouvant, d'autre part, maintenir à Turin le siége d'une autorité dont la présence est nécessaire sur un point plus central du nouvel État, le Cabinet de Turin aurait lui-même l'intention de transporter sa capitale dans une autre ville.

A nos yeux, Monsieur le Comte, cette éventualité est d'une importance majeure pour le Saint-Siége comme pour le Gouvernement de l'Empereur; car, en se réalisant, elle constituerait une situation nouvelle qui n'offrirait plus les mêmes dangers. Après avoir obtenu de l'Italie les garanties que nous croirions devoir stipuler en faveur du Saint-Siége contre les attaques extérieures, il ne nous resterait plus qu'à aider le Gouvernement pontifical à former une armée assez bien organisée et assez nombreuse pour faire respecter son autorité à l'intérieur. Il nous trouverait disposés à en seconder le recrutement de tout notre pouvoir. Ses ressources actuelles, nous le savons, ne lui permettraient de subvenir à l'entretien d'un effectif considérable; mais des arran

pas

gements à prendre déchargeraient le Saint-Siége d'une partie de la dette dont il a cru de sa dignité de continuer jusqu'ici à servir les intérêts. Rentré ainsi en possession de sommes importantes, défendu au dedans par une armée dévouée, protégé au dehors par les engagements que nous aurions demandés à l'Italie, le Gouvernement pontifical se retrouverait placé dans des conditions qui, en assurant son indépendance et sa sécurité, nous permettraient d'assigner un terme à la présence de nos troupes dans les États Romains. Ainsi se vérifieraient ces paroles adressées par l'Empereur au Roi d'Italie, dans une lettre du 12 juillet 1861 : « Je laisserai mes troupes à Rome tant que Votre Ma«jesté ne sera pas réconciliée avec le Pape, ou que le Saint-Père sera « menacé de voir les États qui lui restent envahis par une force régu« lière ou irrégulière.

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Telles sont, Monsieur le Comte, les observations que nous suggère un examen attentif et consciencieux des circonstances actuelles, et dont le Gouvernement de l'Empereur croit opportun de faire part à la Cour de Rome. Le Saint-Siége appelle certainement comme nous de ses vœux les plus sincères le moment où la protection de nos armes ne serait plus nécessaire à sa sûreté, et où il pourrait, sans péril pour les grands intérêts qu'il représente, rentrer dans la situation normale d'un gouvernement indépendant. Nous avons donc la confiance qu'il rendra pleine justice aux sentiments qui nous guident, et c'est dans cette persuasion que je vous autorise à appeler l'attention du cardinal Antonelli sur les considérations que je viens de vous exposer.

Vous pouvez donner à Son Éminence lecture de cette dépêche.
Agréez, etc.

Signé DROUYN De Lhuys.

LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

à M. le Comte DE SARTIGES, à Rome.

Paris, le 23 septembre 1864.

Monsieur le Comte, la dépêche que j'ai eu l'honneur de vous

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