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développement intellectuel. On sait à présent, et nous avons eu récemment une occasion de le rappeler dans ce Journal, que dest idiomes d'une structure très-savante se trouvent fréquemment chez des nations tout-à-fait barbares. L'idiome wolof a des règles ingénieuses et compliquées; mais, tout en les observant, les Africains n'avoient jamais songé à les poser, et il a fallu que ce fût un Européen qui allât les relever chez eux et les leur enseigner. L'impossibilité des progrès des nègres dans la civilisation n'est point du tout établie; mais jusqu'ici les faits manquent à l'appui de l'opinion contraire. Quant aux particularités d'organisation qui montrent dans les races africaines l'empreinte d'un type particulier, l'existence en est trop bien démontrée pour avoir besoin d'être soutenue. M. Dard a eu occasion d'étudier chez les Wolofs ceux de tous les nègres qui s'éloignent le moins de ce qu'on appelle communément la race caucasienne; et néanmoins, s'il eût cette fois examiné la chose en naturaliste, il n'eût pas voulu nier absolument, comme il l'a fait, et la disposition du trou occipital, et la forme des os maxillaires, et la dépression de l'os frontal, et tous ces traits qui constituent la physionomie africaine, et qui dépendent d'un ensemble d'organisation qu'on ne retrouve pas dans les autres familles du genre humain. II n'est nullement besoin de révoquer en doute des faits constans pour établir des principes incontestables. Je ne crois pas qu'il ait existé de naturalistes capables de calomnier les nègres, en cherchant à légitimer l'affreux commerce de la traite, comme paroît le supposer l'auteur. La traite ne seroit pas justifiée, quand on auroit reconnu chez les nègres une constitution physique, je ne dirai pas étrangère, mais évidemment inférieure à la nôtre. Opprimer des hommes parce qu'ils ne nous ressemblent pas, seroit un procédé désavoué par la raison, et qui n'a rien de commun avec la science; mais nier les faits, parce qu'on en auroit tiré des conséquences absurdes ou coupables, n'est pas non plus un parti conforme à la saine logique; et quoique l'erreur où nous paroît être tombé dans cette occasion le zélé défenseur des Africains, prenne sa source dans · un sentiment honorable, nous avons cru devoir la relever, ne fût-ce que pour appeler sur ce sujet important des recherches ultérieures et de nouvelles lumières.

On peut regretter que la Grammaire wolofe n'ait pas reçu, lors de la publication, les mêmes soins qui avoient contribué au perfectionnement du dictionnaire. Un éditeur exercé en auroit fait disparoître de légères taches, et un petit nombre de véritables inexactitudes. L'auteur donne (page 2), sur la prononciation du th et du dh en wolof, une

explication qui ne s'entend pas. Il avertit (note à la page 108) que, dans le cas où l'on observeroit des différences d'orthographe sur les mêmes mots entre la grammaire et le dictionnaire, il faut s'en rapporter préférablement à ce dernier, et il cite en cet endroit même un exemple qui semble prouver précisément le contraire. Des imperfections de si peu d'importance n'empêchent pas que ces deux ouvrages ne soient un véritable service rendu à l'étude comparative des langues, et ne puissent contribuer, d'une part, à jeter du jour sur la constitution des langues africaines, et, de l'autre, à répandre au Sénégal la connoissance du français. Retiré maintenant dans une province de France, cet estimable instituteur, assure-t-on, brûle d'aller continuer son enseignement dans la colonie où il l'a fondé. S'il vient à prendre ce parti, on ne peut douter que de nouvelles études, appliquées à d'autres idiomes encore presque inconnus, ne fassent faire de nouveaux progrès à une partie de la science ethnographique qui se trouve maintenant en arrière de toutes les autres.

J. P. ABEL-RÉMUSAT.

THE MISSION to Siam and Hue, &c., c'est-à-dire, Mission à Siam et à Hué, capitale de la Cochinchine, dans les années 1821 et 1822, d'après le journal de feu G. Finlayson; avec une notice sur l'auteur par sir Th. Stamford Raffles. Londres, 1826, p. xxxj et 427 pages in-8.o

L'AUTEUR de l'ouvrage auquel cet article est consacré, étoit attaché, en qualité de naturaliste, à la mission envoyée en 1821 et 1822 par le gouverneur général du Bengale auprès des cours de Siam et de la Cochinchine, pour établir un traité de commerce entre ces pays et les possessions anglaises de l'Inde. On sait que cette mission n'eut pas d'abord tout le succès qu'on en avoit attendu. Les Siamois, plus encore que leurs voisins, ne marquèrent aux envoyés anglais que de la défiance; et sans examiner ici jusqu'à quel point elle étoit fondée, on peut au moins l'attribuer à l'effroi que doivent naturellement inspirer aux Siamois les progrès toujours croissans de la puissance britannique dans l'Inde au-delà du Gange. En retour de ce sentiment, M. Finlayson témoigne pour ce peuple le plus profond mépris. «Les Siamois, dit-il, » page 201, sont trop bas dans l'échelle des nations pour se former » une idée des avantages qu'ils pourroient retirer de leur alliance

» avec le gouvernement britannique des Indes. » Ce jugement sévère auroit peut-être besoin d'être appuyé d'un grand nombre de preuves; et le refus d'entrer en relation avec une compagnie qui, aux yeux de ces peuples, cherche des alliés dans l'espoir de s'en faire des sujets ne sauroit être apprécié par un employé de cette compagnie avec toute F'impartialité desirable. Il y a sans doute, dans le sentiment qui portoit les Siamois à repousser les avances du gouvernement britannique, autre chose que de l'abrutissement et de la dégradation.

L'ouvrage de M. Finlayson se compose de notes qu'il avoit prises jour par jour depuis son départ de Calcutta jusqu'à son arrivée à Siam. La mort l'a empêché de les mettre en ordre; et le célèbre sir Stamford Raffles, dont la science déplore aussi la perte, a cru devoir les publier telles qu'elles étoient sorties des mains de leur auteur. Selon nous, le livre de M. Finlayson n'a rien perdu à paroître sous cette forme. Des notes ainsi recueillies, sans aucune préoccupation systématique, conservent quelque chose de l'originalité d'une improvisation; mérite qui s'efface en raison directe de l'ordre qu'on veut y introduire après coup. Il est d'ailleurs intéressant d'assister au spectacle des impressions que produit dans l'ame d'un voyageur la vue de lieux, d'usages, de coutumes, jusqu'alors inconnus. Mais l'examen de pareils ouvrages est assez difficile; il faut que la critique mette de l'ordre là où il n'y en a pas, et fixe quelques points auxquels elle rattache les observations éparses dans un grand nombre de passages. Nous choisirons donc, pour en faire la base de notre examen, les objets les plus intéressans, la religion, la littérature, les langues, et la description des traits qui caractérisent les races habitant les pays visités par M. Finlayson.

Le bouddhisme est la religion dominante à Siam. II paroît être dans ce pays complètement identique avec le bouddhisme de Ceylan, d'où Pont reçu les Siamois, suivant l'opinion du plus grand nombre de leurs prêtres. Quelques-uns cependant pensent qu'il a pris naissance dans le pays appelé Kabilla-patha, nom que, suivant M. Finlayson, les Siamois donnent à l'Europe. Les Barmans au contraire disent qu'ils ont reçu le bouddhisme du Magadha, patrie de Gotama. Cette discordance entre des peuples aussi voisins induit M. Finlayson à penser que le respect des nations ultragangétiques pour telle ou telle contrée de l'Inde change suivant les circonstances politiques. Mais ce désaccord, qui n'est qu'apparent, nous semble susceptible de recevoir une explication plus naturelle et plus conforme aux faits. Les Barmans reconnoissent que l'an 940 de leur ère, ou de la nôtre 397, le bouddhisme fut apporté de Ceylan sur la côte d'Arakair. Il paroît qu'à cette

époque la persécution croissante des brahmanes contre les bouddhistes, força ces derniers à quitter l'Inde et à se réfugier à Ceylan. Cette île, qui depuis le 111. siècle avant J. C. avoit embrassé le culte de Bouddha, put à son tour envoyer des colonies dans l'Inde au-delà du Gange; et il est probable que le pays connu des Européens sous le nom de Siam, dut en recevoir à la même époque que les Barmans. Mais la proximité de l'Inde et du pays habité par ces derniers permet de croire que des émigrations bouddhistes avoient déjà eu lieu du Magadha dans l'Arakan par la route de terre; et ainsi s'explique le respect religieux que les peuples d'Ava, de Pégu et de Siam, ont conservé pour le Bihar et pour l'île de Ceylan. Quant au nom de Kabilla-patha, donné par les Siamois au pays où est né Gotama, c'est le même que les Singalais appellent Kimbolvet, altération du sanscrit Kapila-vastou, demeure de Kapila. Ce pays est mentionné dans une carte chinoise fort curieuse publiée par M. Klaproth (1),

Les noms du fondateur du bouddhisme sont donnés comme il suit par M, Finlayson.

« 1. Omg-sam-ma-sam-puttho, c'est-à-dire, le tout-puissant. » Cette interprétation, ainsi que les suivantes, appartient aux Siamois, et elle prouve, comme on va le voir, qu'ils n'ont pas communément une connoissance très-approfondie de la langue savante à laquelle elle est empruntée. Ce mot n'est autre que sammá sambouddho, signifiant en pali, complètement intelligent, précédé sans doute de la syllabe mystique om,

«2. Somona-Cotom, c'est-à-dire, celui qui dérobe les troupeaux, » Ce mot est le pali samana Gotama, le pénitent ou samanéen Gotama, dont le nom signifie dompteur de troupeaux.

3. Phut et phuti, en sanscrit pati, maître, » Nous croyons plutôt que ce mot est une corruption du pali bouddhi, intelligence, ou peut-être une abréviation du nom de Bodhisattva, un des plus célèbres patriarches bouddhistes.

« 4. Pra-phuti-roup, c'est-à-dire, l'image du très-haut. » C'est sans doute le pali Bouddha-roupa, auquel est jointe la particule siamoise pra, indiquant la supériorité.

«5. Pra-si-thaat; c'est le nom que portoit le fondateur du bouddhisme avant d'être parvenu à la dignité de Bouddha. » En pali, ce mot s'écrit Siddhattha, altération du sanscrit Siddhartha.

Quoique le bouddhisme soit la religion nationale des Siamois, il

(1) Mémoires relatifs à l'Asie, tom. II, p. 411.

n'est cependant pas impossible de remarquer dans leurs usages quelques traces de brahmanisme. Les murs des temples sont fréquemment couverts d'images empruntées aux légendes du Râmâyana; ce livre fait même généralement la base des poésies écrites dans la langue nationale. On rencontre à Bankok quelques brahmanes nourris aux frais du roi, et qui y ont élevé un petit temple. Les Siamois se laissent pousser sur le front une mèche de cheveux qu'ils conservent jusqu'à l'âge de douze, quatorze et quinze ans. A cette époque on rassemble la famille: le jeune homme dont on doit couper les cheveux en reçoit des présens; puis un brahmane, après lui avoir jeté quelques gouttes d'eau sur la tête, coupe, en prononçant certaines prières, la mèche réservée. Le fils même du roi est soumis à cette formalité. Elle rappelle évidemment la cérémonie qui, dans les instituts de Manou, a lieu lorsqu'on rasé la tête d'un enfant. Je ne sache pas qu'on ait jusqu'ici essayé d'expliquer les emprunts qu'ont faits aux brahmanes quelques peuples bouddhistes de la presqu'île au-delà du Gange; on n'en a pas même encore rigoureusement déterminé l'étendue. Il est bien prouvé que les Barmans ont reçu des brahmanes le code de Manou; mais est-ce antérieurement ou postérieurement à l'introduction du bouddhisme! Et comment ce code, qui consacre la distinction des castes, peut-il s'accorder avec le culte de Bouddha, qui la méconnoît? Il y a là plusieurs questions fort obscures qu'il seroit peut-être aisé de résoudre avec des hypothèses, mais dont on ne peut espérer d'obtenir une explication complète et satisfaisante que quand on aura constaté exactement, d'abord en quoi le bouddhisme diffère du brahmanisme, ensuite ce qu'il a pu en conserver.

Les renseignemens que M. Finlayson a été à même de recueillir sur la langue et la littérature des Siamois, se réduisent à fort peu de chose. On doit attribuer la briéveté de sa narration sur ces points intéressans à la courte durée de son séjour chez les Siamois. Il constate seulement l'existence de deux idiomes, l'un exclusivement réservé pour les livrés sacrés et nommé pali, l'autre employé comme langue vulgaire et servant dans les compositions littéraires de tout genre. Dans l'absence de renseignemens plus étendus, peut-être me sera-t-il permis de donner ici un court résumé des résultats auxquels m'ont conduit mes recherches personnelles sur la langue des Siamois.

Le docteur Leyden, dans un savant mémoire sur les divers idiomes qu'il appelle indo-chinois, a établi que le nom national du peuple siamois étoit celui de Thay, et que cette nation étoit divisée en deux classes ou familles, les Thay-yai', et les Thay-noi, c'est-à-dire, les grands et

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