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J'avois fait connoître le travail du traducteur, en le rapprochant et des vers du Tasse, et des différens fragmens que le Tasse avoit empruntés à d'autres poëtes; ainsi l'on a pu juger, sous trois divers rapports, les mêmes pensées, les mêmes images, exprimées avec talent dans trois langues différentes. Aujourd'hui j'examinerai spécialement la traduction française, après avoir fait quelques observations sur le genre de style qu'exige le poëme épique, et par conséquent la traduction en vers d'un tel poëme. On peut distinguer trois genres principaux dans le style épique: le genre narratif, le genre oratoire ou dramatique, le genre descriptif. Le poëte se sert du genre narratif, quand il n'a qu'à exposer des faits, à présenter des récits qui ne fournissent ni des mouvemens oratoires, ni des descriptions brillantes ou des détails pittoresques. Ce genre exige plus particulièrement une élégance continue, une variété de formes poétiques, et sur-tout des tournures, des coupes harmonieuses. Il faut que le poëte, par le mérite de l'exécution, soutienne l'intérêt dans ces momens où, l'action n'étant pas fortement engagée, l'attention du lecteur est appelée sur de nombreuses circonstances nécessaires pour préparer ou lier les grandes parties de l'épopée. Ce genre est celui où le talent a d'autant moins occasion de briller, que le luxe des ornemens y seroit presque toujours déplacé : c'est celui que les lecteurs vulgaires estiment le moins, mais que les vrais littérateurs savent apprécier, parce qu'ils tiennent compte au talent des obstacles qu'il a dû vaincre pour se dépouiller en quelque sorte de son éclat et se réduire à une diction pure, simple et élégante, concise et animée. Ce talent particulier, dont Virgile a donné tant de beaux exemples, est très-remarquable dans le Tasse. Nous l'admirons souvent dans Racine; et j'indiquerai comme modèle du genre la première partie du discours d'Agrippine à Néron, dans la tragédie de Britannicus, depuis le vers: Vous régnez. Vous savez combien votre naissance, &c. i jusqu'au vers Apprit en même temps votre règne et sa mort. Le genre oratoire ou dramatique consiste à faire parler les personnages convenablement à leurs caractères, à leurs passions. Il présente moins de difficultés, parce que ces personnages sont ordinairement en scène, quand de grands intérêts, puissamment excités, permettent au poëte de réussir par la force des pensées, par la vérité et l'énergie des sentimens; alors la pensée et le sentiment fournissent au style la couleur convenable, l'animent du mouvement des passions, des figures de : l'éloquence. Une noble simplicité, une concision énergique, peuvent suffire au style élevé, sans recourir aux figures de diction, aux effets d'harmonie, aux images hardies, que le genre n'exclut pas cependant. Le genre descriptif, au contraire, exige impérieusement toutes les ressources du poëte, tout le luxe de la versification, non-seulement dans les grands tableaux que l'épopée est destinée à tracer, mais encore dans les détails les plus vulgaires, où la vivacité de l'image, la justesse hardie de l'expression, doivent suppléer au peu d'intérêt qu'offriroient des détails minutieux, qui n'ont droit à trouver place dans l'épopée qu'autant que la poésie les y introduit elle-même. J'ai cru nécessaire de distinguer ainsi les trois principaux caractères du style épique, afin de pouvoir mieux apprécier la nouvelle traduction de la Jérusalem délivrée, et de déterminer le genre dans lequel M. Baour-Lormian me paroît avoir plus particulièrement réussi. Ce n'est pas que presque toujours ces genres ne se rapprochent et même ne se confondent: je dirai même plus; il n'y a pas de genre proprement dit en fait de style; chaque sujet, chaque talent a le sien. Voici un passage qui appartient plus particulièrement au genre narratif; c'est la traduction des strophes v, vi et VII du chant 3.o, `au moment où la ville de Jérusalem se présente à la vue des croisés. !.. Où Dieu, sur une croix, expia nos parjures;... Durch nati Y J S L'ambition, l'orgueil, les grandeurs passagères, S'excite au 'repentir et s'accuse en ces mots. Ces vers sont traduits avec élégance, et l'on aime à y retrouver les beautés que l'original permettoit de reproduire, ou à les voir remplacées par d'heureux équivalens. M. Baour-Lormian a omis dans la traduction de la cinquième strophe une circonstance qui caractérisoit Jérusalem: Ver la città di Cristo albergo eletto. Les vers suivans qui terminent la strophe, Dove poi rivestì le membra sue, ne sont pas exactement rendus par ceux-ci : Où, du sein du tombeau, vivant et glorieux, Après trois jours de mort, IL MONTA DANS LES CIEUX, puisqu'il ne monta dans les cieux que quarante jours après sa résurrection; aussi le Tasse dit seulement Rivestì le membra sue. Dans la sixième strophe, le vers, L'onde se brise et meurt sur le rivage, est précis, bien tourné, pittoresque; toutefois il appartenoit au talent de l'auteur de lutter de plus près pour rendre la beauté des deux vers italiens dont le dernier offre un exemple très-heureux d'harmonie imitative : O quale infra gli scoglj, o presso ai lidi, SIBILA IL mar, percosso in RAUCI STRIDI. Mais, dans la traduction de ces trois stances, M. Baour-Lormian a sou vent revêtu de couleurs brillantes les images et les expressions de l'original. Je désignerai particulièrement les six derniers vers et celui qui dit : Où le sang rédempteur coula de ses blessures. Dans le genre oratoire, je citerai une partie du discours qu'Armide adresse à Renaud, lorque celui-ci lui a annoncé son départ (chant XVI): Armide cependant jetoit sur l'insensible Des regards allumés d'un feu sombre et terrible. |