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sera celui qui tournera le Roi qui marquera le point et qui gagnera, car, de part et d'autre, on est dans ce moment à point égal.

Quel désarroi à Paris et à Londres! On dirait de loin deux maisons de fous! Cela vous frappe moins sans doute, car vous êtes sur la scène, tandis que sur ma montagne je suis aux premières loges. Qu'est-ce qui nous attend encore? Dieu sait tout, mais je me déclare pour ma part dans un état de véritable imbécillité. Fiat voluntas tua. C'est tout ce qu'un homme de sens peut dire *!

Vos rapports offrent un bien pénible intérêt; les diverses questions sur lesquelles ils portent sont de la nature la plus grave, et leur solution est enveloppée dans un profond brouillard. J'ai toujours une grande répugnance à aborder des sujets dans lesquels je ne vois pas clair; mais de combien cette impression ne doit-elle pas augmenter, quand il s'agit de questions vitales pour un grand Empire, et quand surtout je ne puis me défendre d'un sentiment approchant de la conviction que le Gouvernement français, occupé des plus audacieuses entreprises, ne voit pas plus clair sur les chances du dénoûment que je ne le fais moi-même!

Il s'agit en ce moment de deux immenses entreprises, qui, distinctes de leur nature, ne s'en confondent pas moins dans un même but on ne saurait caractériser autrement l'état d'hostilité avoué dans lequel s'est placé le ministère français en face de la Chambre élective, et l'entreprise d'Alger**. Tout diffère dans l'essence des deux affaires, et elles n'ont cependant qu'un seul et même motif. Pour se rendre un compte

Grèce devait être déclarée un État indépendant et exempt de tribut, et qu'elle (Note de l'Éditeur.)

recevrait un Roi.

* Le même jour, Metternich écrivait au prince Esterhazy, à Londres : « Je vois fort noir sur la situation générale des choses. En France, les affaires ont tourné toutes en questions de personnes. Les choses ne sont plus qu'un prétexte dont les factions se servent pour arriver à leurs propres fins. M. de Polignac ose beaucoup; il faut espérer qu'il réussira; mais qui pourrait en répondre?» (Note de l'Editeur.)

** Le 20 avril, la France avait déclaré la guerre au Dey d'Alger.
(Note de l'Éditeur.)

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précis de la différence qui existe entre la nature des deux questions, il suffit de les aborder par leurs côtés les plus saillants. La lutte avec la faction peut avoir été une affaire de nécessité (et je suis prêt à croire que tel a été, en effet, le cas), tandis que l'entreprise contre Alger est volontaire. La première affaire est administrative, et la seconde est politique. L'une et l'autre ont été conçues pour sauver le Gouvernement royal; l'entreprise d'Alger pourra réussir, et elle devra réussir matériellement, je n'en doute pas, - le Gouvernement cependant n'en périra pas moins, s'il ne se sauve par d'autres moyens l'affaire des élections pourra manquer, et je serais fort surpris si elle réussissait, - la question politique ne survivrait pas moins comme une complication des plus dangereuses. En un mot, tout en France est mis en jeu, tout est dans un état de crise flagrante. Il y a bien longtemps que j'ai eu le sentiment de l'existence du danger, et que je l'ai vu grossir; il y a également longtemps que j'ai cru devoir éveiller à ce sujet la sérieuse attention des principales Cours; je n'ai point été écouté par les Cabinets. Les uns ont vécu dans un état de dangereuse sécurité; d'autres ont craint, en s'en occupant, d'appeler un mal que j'ai jugé tout venu. Aujourd'hui, les conseils ne sont plus de saison; l'Europe est réduite au rôle le moins digne, — à celui d'une dangereuse attente des événements. La Cour qui, sans comparaison aucune, a le plus de reproches à se faire, c'est celle de Londres. Elle seule a tout pu, et n'a rien fait qui, de loin même, aurait porté le caractère d'une utile prévision. Entre de grands États, le moyen de la répression, c'est la guerre. Or l'Angleterre voudra-t-elle de celle-ci? Je ne le crois pas. Laissera-t-elle se consommer ce qui nécessairement devra être la conséquence de l'expédition française? Une résignation pareille me semble bien difficile. J'en suis venu à un point où je ne sais plus ni rien prévoir ni rien calculer. Aussi souvent qu'un esprit calme se trouve réduit à une situation pareille, les choses doivent être bien détestablement placées!

Peu de jours avant mon départ de Vienne, lord Cowley m'a donné connaissance de la plus récente correspondance

entre son Cabinet et lord Stuart. La dernière pièce était une instruction de lord Aberdeen à cet ambassadeur, en date du

mai, et vous en avez ressenti les effets dans l'humeur postérieure de votre collègue contre le Gouvernement français. Par cette instruction, lord Stuart a été chargé de déclarer à M. le prince de Polignac « que le Cabinet britannique se reconnaissait le droit et le devoir d'apprendre à connaître d'une manière explicite les vues de la France sur toutes les conséquences possibles de son entreprise ». La dépêche de lord Aberdeen finit par la déclaration que, dans le cas où une explication pareille devrait ne pas être donnée incessamment, les conséquences du refus, de quelque nature qu'elles pourraient être, retomberaient sur le Cabinet de Sa Majesté TrèsChrétienne. M. le prince de Polignac aura fait la seule réponse qu'il pouvait faire; il aura répété que la France restera préte à s'entendre avec ses alliés. Ce n'est pas ce que veut l'Angleterre, ni ce dont elle pourrait se contenter, et c'est cependant tout ce que le ministre français aura pu répondre. La demande anglaise est certes fortement motivée; mais elle aurait dû être faite il y a six mois, c'est-à-dire dans le temps utile où nous avons abordé la question envers les ministres anglais, et où ils ont eu l'air de la traiter avec une entière indifférence. N'auraient-ils pas eu la conviction que le Gouvernement français était tout décidé en faveur de l'entreprise? Le fait ne serait pas moins inexplicable. Peu avant la communication de lord Cowley, M. de Rayneval avait reçu un courrier de sa Cour, avec l'injonction de nous inviter à vous adresser l'autorisation éventuelle de prendre part à des délibérations auxquelles l'affaire d'Alger pourrait donner lieu. J'ai répondu à l'ambassadeur que vous recevriez à ce sujet des directions de notre part.

Celles-ci ne sauraient être que très-simples. Si vous deviez être invité par le ministre des affaires étrangères à vous réunir avec lui et vos collègues pour une prise en considération commune, vous n'hésiterez pas à vous rendre à cet appel.

Dans l'affaire en question, un objet fixe avant tout nos regards, c'est celui du maintien de la bonne harmonie entre les puissances maritimes.

Nous n'avons dans l'affaire d'Alger d'autres intérêts que ceux que partage avec nous la totalité des États: l'abolition de la piraterie, celle de l'esclavage; l'introduction d'un ordre de choses plus régulier à Alger tout cela peut être · regardé par nous comme étant d'un avantage réel et général. Ce qui, dans les résultats de grands succès français, dépasserait ces objets, devra conduire à des démélés politiques. Mais ici l'Angleterre se trouve engagée en première ligne ; et comme nos relations de bonne entente avec cette puissance sont pour nous tout à fait naturelles, il est dans l'ordre des choses que, dans la présente complication, nous consultions avant tout l'intérêt de la Grande-Bretagne. Il serait désirable que, sur tous les points qui jamais pourraient être portés à une délibération commune, les Cours de Vienne et de Londres pussent se consulter et s'entendre en confiance et en bonne amitié.

Vous pouvez annoncer à M. le prince de Polignac, verbalement et confidentiellement, que vous avez reçu l'autorisation de vous réunir, le cas échéant, avec lui et avec vos collègues, pour écouter les ouvertures que Son Excellence aurait à vous faire. Vous ajouterez que la seule direction possible vous a été donnée pour vous servir de règle générale, savoir celle d'apporter dans la prise en considération de tous les objets un esprit d'entière impartialité et en même temps de franche conciliation des intérêts qui, au grand regret de votre Cour, pourraient offrir de la divergence. Vous vous expliquerez dans le même sens envers lord Stuart et vos collègues de Russie et de Prusse. Vous recommander d'éviter dans l'ensemble de votre attitude tout ce qui aurait l'air d'un vif empressement, me semble parfaitement inutile.

Quant à l'ambassadeur d'Angleterre, vous pourrez le prévenir que c'est avec lui que vous serez toujours disposé à vous entendre de préférence.

La réunion d'une conférence me paraît, au reste, encore fort problématique. Plus le Cabinet français voudra y avoir recours, moins celui de la Grande-Bretagne se trouvera disposé, probablement, à aborder en commun des questions

qu'à juste titre il peut regarder comme étant avant tout anglaises*.

10 juin.

956. La lutte entre les partis royalistes me paraît, à en juger par la teneur des feuilles publiques, se calmer un peu. II serait heureux que les adhérents de ces divers partis se réunissent pour présenter un front compacte à leurs adversaires communs, les libéraux. Tout ce qui se passe est, au reste, pitoyable, et serait impossible ailleurs qu'en France. Une guerre pareille à celle que se font les partis eût depuis longtemps, dans tout autre pays, assuré le triomphe de l'un ou de l'autre de ces partis. N'est-ce pas une preuve que ni les uns ni les autres ne sont dans le vrai?

UNE EXPLICATION DE METTERNICH AVEC NESSELRODE, A CARLSBAD.

957.

Metternich à l'Empereur François (Rapport).

Koenigswart, le 31 juillet 1830.

937. Je suis arrivé à Carlsbad le 27 juillet dernier, et je m'y suis arrêté pendant vingt-quatre heures, afin de m'entretenir avec le comte de Nesselrode.

Le comte de Nesselrode était inquiet : il avait peur d'une entrevue avec moi. Quand il vit que je le recevais avec un calme parfait, et que je lui développais avec beaucoup de mesure les points que je m'étais proposé de toucher; quand je lui fis enfin les reproches que sa conduite politique mérite depuis des années, toute appréhension disparut chez lui, et, obligé de se défendre, il dut reconnaître bientôt que ses armes étaient insuffisantes. La meilleure preuve qu'il en donna, c'est qu'il s'engagea dans des dénégations qu'il lui était impossible de soutenir.

* Comme on le sait, l'expédition se termina par la capitulation d'Alger, le 5 juillet 1830. (Note de l'Éditeur.)

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