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ne soit

airs même difficiles, on s'étonne que la musique pas plus généralement connue, dans la juste acception de ce mot; on se demande comment il se fait qu'on apprenne en trois ou quatre ans les mathématiques, en six ou huit ans le latin, les lettres, l'histoire, et que dans le même temps on ne sache pas suffisamment la musique. Mais quand on compare le grand nombre de ceux qui l'ont apprise au petit nombre de ceux qui parviennent à la savoir, alors on est effrayé de la disproportion, et l'on en veut connaître la cause; vainement on la chercherait dans la différence des esprits, il me serait aisé de démontrer qu'elle n'y est point : il la faut donc chercher dans les moyens d'instruction.

Or, en toute autre étude on a deux moyens de s'instruire, les maîtres et les livres; mais en musique, c'est différent : on est dénué du second moyen, et pour ainsi dire réduit au premier. Un Traité élémentaire de musique, une simple exposition analytique des principes de cet art, qui soit puisée dans l'observation de la pure pratique, est un ouvrage encore à naître; car je ne pense pas qu'on prenne pour des expositions analytiques nos solfèges, nos méthodes vocales et instrumentales, qui ne présentent

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rien à l'esprit que de la musique à lire. On ne les regarde, sans doute, que comme des collections de phrases, de passages, d'exercices enfin pour délier les doigts ou le gosier; j'entends, par une exposition analytique, un livre tel qu'un homme de 'sens pût y apprendre la musique tout seul s'il y était condamné, et que, tous nos musiciens venant à se perdre dans une nuit, leur art ne fût pas néanmoins perdu pour genre humain.

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Cependant, pourrait-on dire, n'est-ce pas par ces méthodes qu'ont été formés nos grands musiciens? Non, répondrais-je, ce n'est point par elles, c'est malgré elles. Tout homme lancé dans une fausse route, et qui s'en aperçoit, se hâte d'abord d'en sortir; mais l'on aurait tort de dire ensuite que c'est par élle, puisqu'il y est entré, qu'il arrive à son terme. De même l'homme de génie, entravé par les préjugés d'une fausse éducation, s'en débarrasse bientôt ; il régénère ses idées sur un plan qu'il est seul capable de concevoir. C'est ainsi que se sont formés nos grands musiciens; c'est ainsi que se sont formés nos grands hommes de tout genre. Le mal est pour nous que ces génies élevés n'aient pas voulu prendre la peine de nous développer leur plan de réforme, soit qu'ils y attachassent

trop ou trop peu de prix; nous saurions aujour d'hui probablement des choses qui feront à l'avenir la matière de bien des découvertes.

ESPRIT DE LA MÉTHODE.

Il est singulier que l'on ait toujours commencé ce genre d'enseignement par parler aux yeux de l'élève, au lieu de parler plutôt à ses oreilles; il semble, en effet, qu'on devrait lui enseigner le langage oral de la musique avanț de lui en enseigner le langage écrit. Par exemple, on ne s'avise pas d'apprendre à parler à un enfant par le moyen de la lecture, et de lui mettre un livre sous les yeux pour l'instruire à prononcer des paroles; c'est néanmoins ce que l'on fait ici : on fait chanter l'élève sur le livre, on le fait lire avant qu'il sache solfier en chantant ou qu'il sache parler. Dira-t-on qu'on lui apprend ainsi l'un et l'autre à la fois? Mais l'expérience dément cette assertion; car on voit trop peu d'élèves qui, sortant des mains de maîtres sachent parler la musique, c'est-à-dire chanter par cœur des airs sur les syllabes de la gamme aussi aisément que sur les syllabes d'un couplet, Prenons un autre exemple. Croit-on qu'on enseignerait la numération à un enfant en lui mettant des chiffres à lire sous les yeux, si

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déjà il ne connaissait au juste la signification des noms que portent ces chiffres? Non, sans doute; il ne parviendrait de cette manière qu'à articuler à la vue de ces signes des mots constamment les mêmes et différemment combinés, mais dont il ne sentirait point la valeur, qui est le rapport de ces mots aux choses extérieures. Ainsi, par exemple, vainement une collection d'objets s'offrirait à sa vue, il ne saurait pas compter; c'est-à-dire, déterminer le nom qui lui convient dans la nomenclature des nombres.

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C'est exactement ce qui se passe en musique. Les chiffres dont je parle sont les notes écrites dans les portées; ces notes ont des noms ut, ré, mi..... qui ne présentent aucune idée à l'élève qui commence. Or, on ne lui enseigne à rapporter ces noms qu'aux signes écrits, et point aux sons extérieurs qui viennent frapper son oreille sous diverses propriétés; il en résulte que l'élève, après trois ou quatre années d'une étude si stérile, écoutant chanter un air, il lui est impossible d'en dénommer les sons dans l'ordre où ils se succèdent, parce que la valeur des mots ut, ré, mi.... n'est pas encore déterminée dans son esprit, et qu'il ne peut les rapporter à rien de ce qu'il entend, quoiqu'il soupçonne peut-être qu'ils furent faits pour cela. Et remar

quez aussi que la même cause doit l'empêcher de lire un air écrit ; car il est incontestable que nous ne savons lire que par l'intermède de la parole.

Serait-il donc difficile d'établir entre ces noms et les idées qu'ils désignent une liaison si forte, si durable dans l'esprit de l'élève, que toujours le nom appelât subitement l'idée, et toujours l'idée subitement le nom?..... J'en imagine un moyen.

En effet, rien n'est si ordinaire que de voir les enfans chanter par cœur une foule de chansons qu'ils apprennent d'eux-mêmes: qu'on substitue les notes articulées de la gamme aux paroles inutiles de ces couplets, et l'on aura des enfans musiciens qui n'auront pas songé à le devenir. Comment s'opérera ce prodige? Le voici en voyant tous les airs possibles ramenés à un ton unique et exprimés avec sept noms continuellement répétés, il faudra bien qu'ils attribuent le retour des mêmes mots au retour des mêmes idées; ils en feront la comparaison dans leur esprit, et bientôt, en entendant un air quelconque, ils sauront en dénommer tous les sons, ils sauront le solfier. Qu'y a-t-il là de plus difficile pour eux que d'apprendre la valeur des mots de leur langue maternelle ? Certes, on ne

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